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Critique de motspourmots


Il est vrai que ces dernières années, on parle beaucoup de l'environnement autour de l'affrontement entre les scientifiques qui alertent et les climatosceptiques qui rigolent. Certains ont peur, d'autres réfléchissent à des moyens de limiter leur empreinte carbone. D'autres s'en foutent. le vert est devenu une couleur tendance, on en peinturlure les façades des politiques, des entreprises et des industries. A en croire les publicités actuelles, tout est pensé en termes de "développement durable", respect de la santé, on achète aux producteurs locaux, on vend du bio... Derrière, la réalité est bien différente. L'homme continue à se considérer "en dehors" de l'environnement et non "partie" de cet environnement. Pire, il asservit, détruit, domine. Des romanciers se sont emparés de la question. Dernièrement, l'immense Richard Powers nous a offert un fantastique roman, L'Arbre-Monde qui ne peut pas laisser le lecteur indifférent. Il est l'un de ceux qui plaident pour une prise de conscience massive de l'espèce humaine qu'il convient de changer radicalement de paradigme et d'attitude. L'homme s'est exclu de ce qu'il appelle "la nature" pour mieux la saccager. Il s'en est tellement éloigné qu'il est peut-être temps de s'en rapprocher, de se rappeler qu'il n'y est pas extérieur mais l'un des éléments.

C'est un peu la démarche entreprise par Jennifer Murzeau, écrivain et journaliste, très concernée par les questions environnementales. Mais comment parler de nature quand on est une citadine de naissance, que les seuls espaces verts que l'on côtoie sont ses lieux de vacances et que l'on est habitué au confort matériel procuré par la civilisation ? L'expérience qu'elle entreprend n'a a priori rien de l'aventure du siècle. S'immerger en pleine nature pendant une semaine, se déconnecter du bruit, de la ville, de la facilité octroyée par les moyens modernes. S'éloigner des distractions et de la pollution de la société de consommation. Tenter de se reconnecter à son environnement. A la terre, à l'air, par tous les sens. Pour cela, elle contacte un "guide de survie", un certain François adepte des théories de la collapsologie et qu'elle charge de l'initier. Faire un feu, dormir à la belle étoile, se nourrir de ce que l'on cueille, chasse ou pêche... Pour la citadine habituée à appuyer sur des boutons, c'est la totale.

"Nous sommes des êtres assistés (et donc asservis) comme nul autre jamais. J'ai beau être critique, je sais bien que je ne fais pas exception à la règle. Parce que je baigne dans le monde et que, comme tout individu, je suis poreuse".

Jennifer Murzeau avance à la fois sans fard mais avec le regard de la journaliste nourrie de littérature, d'idées et d'études sur les sujets environnementaux et de société. Elle ne nous cache rien de ses difficultés, ses étonnements, son sentiment d'être complètement paumée, ni même ses peurs alors qu'elle est confrontée à la nature à l'état brut et que cela bouleverse tous ses repères. J'ai particulièrement apprécié son rejet des attitudes agressives et guerrières de son guide qu'elle finit par lâcher pour se retrouver seule dans la montagne. Ainsi que les mises en relief des situations qu'elle rencontre avec les constats des scientifiques, philosophes et sociologues ; cela permet de montrer clairement de quoi on parle quand on dit "reconnexion avec la nature". Pas mal de recoupements avec L'Arbre-Monde, justement. J'ai beaucoup pensé également à ma récente lecture de Chien-Loup de Serge Joncour qui vient de recevoir le prix du roman d'écologie et interroge judicieusement la relation de l'homme à son environnement.

La réflexion de Jennifer Murzeau est passionnante en ce qu'elle englobe la question du sens que nous donnons à nos vies. Cet éloignement de la nature, cet asservissement fruit de la société contemporaine, est-ce vraiment le but que nous poursuivons ?

"La nature, en nous éloignant des vanités de la civilisation, en nous arrachant aux automatismes de la ville, aux petites histoires qu'on s'y invente, à la vitesse, nous offre l'occasion de nous déprendre de nos conditionnements, de reconquérir un libre arbitre malmené, d'oublier un peu son nombril pour considérer quelque chose de bien plus grand que soi-même, quelque chose qui nous dépasse. La société contemporaine dicte nos désirs, exalte la compétition, produit l'insatisfaction, valorise l'agitation et condamne la contemplation. Elle fait de nous des êtres engoncés, impose des existences étriquées (...). La nature explose ces cadres, atomise ces diktats, nous rend la liberté et le temps perdu. Je crois que la nature rend moins con".

Suivre Jennifer Murzeau dans son périple, c'est s'ouvrir un vaste champ de réflexion d'autant plus intéressant qu'il est balisé par des sources variées et mêle la théorie à l'expérimentation en balayant les extrêmes, le défaitisme et les adeptes de la chute de la civilisation. Non, suivre Jennifer Murzeau c'est s'interroger profondément sur la notion de progrès et envisager de revenir à ce qui fait l'essence de l'homme, son appartenance au monde du vivant.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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