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Citations sur La Reine aux yeux de lune (9)

Le commandant en chef encourageait ses recrues. C'était peut-être la dernière fois pour eux: bientôt débuterait leur dure préparation militaire. Les instructeurs feraient souffrir les soldats pour les transformer en combattants ignorant le remord et la clémence et méprisant toute vie, à commencer par la leur, mais au service d'une noble cause qui excluait la pitié pour les adversaires.
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Je les invitais à regarder autour d'eux, à apprécier la richesse de la nature luxuriante: la majesté des arbres centenaires, l'enchevêtrement des tiges de buissons dans le sous-bois, l'incroyable fourmillement de vie qui nous accueillait.
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"J'ai aussi pour mission de vous annoncer que le ciel a envoyé un sauveur, une demoiselle, une vierge. Une fois le pays réunifié, elle seule désignera le futur et unique roi: le prochain Mani Kongo. De sa bénédiction dépendra aussi la victoire de votre armée, roi Pedro IV. Tous devront lui obéir. Le Tout-Puissant lui-même s’exprimera par sa bouche!"
Appolonia précisa que la jeune femme existait bel et bien, qu’elle l’avait connue dans le passé pour avoir assisté à sa naissance et participé à son éducation. Elle livra ainsi son nom: Kimpa Vita. L'enfant avait aujourd’hui environ dix-huit ans et se trouvait quelque part dans le royaume, mais elle ignorait où. Des recherches devaient être entreprises pour la localiser rapidement, car le destin du pays reposait entre ses mains.
La stupeur se propagea dans l’assemblée: jamais personne n'avait osé faire preuve d’autant d’insolence envers le monarque. Une vieille paysanne prétendait lui dicter sa conduite alors qu’il entendait régner sur un empire. Lui, le redoutable chef de guerre qui n’avait jamais connu la défaite et se vantait d’avoir assassiné une vingtaine d’ennemis à mains nues, devait s’en remettre à une gamine pouf assurer sa victoire... Une histoire de fous. Mais, après l’étonnement, des cris de joie et des applaudissements résonnèrent, la foule scandait le nom du sauveur: Kimpa Vita. Hipolita toisa son époux d'un sourire en coin. C’en était trop pour Pedro IV. p. 118
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(Les premières pages du livre)
Ma mère m’offrit la lumière du jour un dimanche à l’automne de l’an 1685, mais chaque fois qu’Appolonia Mafuta me raconta cette histoire, elle précisait que ma vie avait vraiment commencé la veille. Dans la nuit qui précéda ma naissance, celle qui officiait comme accoucheuse, faiseuse d’anges, guérisseuse, et servait parfois d’intermédiaire entre les vivants et les esprits des ancêtres, s’était réveillée en sursaut. La Vierge Marie, entourée d’un léger voile blanc qui laissait échapper une mèche de ses longs cheveux noirs, s’était présentée à elle dans un rêve et l’avait sollicitée d’une voix calme et posée. La mère du Christ avait pris les traits d’une femme du Kongo : les yeux en amande, les pommettes hautes et les lèvres charnues. Appolonia s’était agenouillée sur sa natte, puis avait levé les yeux vers l’apparition qui effleurait presque son visage. La Madone lui annonçait l’arrivée prochaine d’un sauveur : une jeune fille qui serait la véritable voix de Dieu sur la terre des Bakongos. Avant de disparaître, Marie avait ajouté que le Tout-Puissant punirait sévèrement ceux qui refuseraient d’accueillir son envoyée.
Appolonia se retrouva seule dans le noir ; estimant qu’elle avait été une fois de plus sujette à des hallucinations sous l’effet de la fatigue, elle préféra oublier la vision qui l’avait sortie de son sommeil et se recoucha. La première grossesse de la fille à peine pubère d’une famille d’aristocrates désargentés du voisinage était arrivée à terme : Appolonia devait se tenir prête à intervenir. Quelques heures plus tard, des villageois l’éveillèrent à la lueur d’une bougie. Elle se redressa péniblement et resta un temps assise en tailleur, le corps engourdi et l’esprit encore embrumé par les révélations venues de l’au-delà. Appolonia passa sa main dans ses longs cheveux crépus poivre et sel, si touffus qu’elle abandonna l’idée de les démêler et les garda ébouriffés. Elle se couvrit les épaules d’une cape en coton léger, avant de quitter sa modeste habitation en brique de terre. Dans la fraîcheur de l’aurore, elle emprunta l’avenue principale de São Salvador, grignotée çà et là par la brousse et bordée de ruines. Sa frêle silhouette progressait lentement entre les façades décrépies d’anciennes demeures, longeait les palais des nobles d’antan partiellement détruits qui portaient les stigmates d’incendies et donnaient à la ville un air de désolation.

Âgée d’une quarantaine d’années, Appolonia Mafuta regrettait la capitale d’autrefois, celle qui avait été la fierté des bâtisseurs des édifices en pierre et en chaux du royaume du Kongo, égalant ainsi – aux dires des premiers Portugais qui l’avaient contemplée – le faste et la beauté des plus célèbres cités européennes. Aujourd’hui y vivaient encore une quinzaine de missionnaires capucins et un peu plus d’une centaine de femmes et d’hommes, dont des membres de clans apparentés au défunt roi, le Mani Kongo. C’était dans la demeure de l’une de ces vieilles familles bakongos que se rendait l’accoucheuse.
Lorsqu’elle s’approcha d’une grande cabane, où un reste de cloisons avait été maladroitement recomposé avec des bouts de bois, une enfant – d’un mètre soixante – au ventre proéminent l’attendait. Elle avança péniblement et, sans dire un mot, lui emboîta le pas. La tradition des Bakongos imposait aux futures mères de se montrer fortes. Alors, le visage fermé et trempé de sueur, accentuant sa cambrure en se tenant le dos, la parturiente suivit Appolonia en silence. Elles descendirent des hauteurs de São Salvador sur un flanc de la colline, puis continuèrent dans la plaine. La jeune femme, éduquée à supporter la douleur sans se plaindre, serrait les dents, mais elle marquait le pas. Son calvaire dura une trentaine de minutes jusqu’à la clairière qui abritait la source de la rivière Mpozo. La pauvre enfant essaya de croiser fermement les jambes, à peine assez fortes pour la porter, alors que la poche des eaux venait de rompre. Ce fut à l’instant où elle remarqua le liquide répandu à l’intérieur des cuisses et le long des mollets de la petite qu’Appolonia se décida à la rejoindre, à la soutenir par les épaules, à ôter ses habits et à l’asseoir dans l’eau éclairée par la lumière orange et floue du jour qui se levait. Sur le moment, la tiédeur de l’onde qui enveloppa ses reins et le bas de son corps la soulagea tant qu’elle fut prise d’un vertige et laissa échapper un soupir qu’elle s’empressa de réprimer sous le regard réprobateur de l’accoucheuse.

Ma mère me mit au monde à l’heure ambiguë du crépuscule, après de longs efforts qui suppliciaient ses entrailles. À chaque poussée, elle avait pensé perdre connaissance. Son martyre s’était étiré jusqu’en fin d’après-midi.
J’étais un minuscule nourrisson d’à peine deux kilos qui glissa hors de son ventre et remonta à la surface des flots la tête plongée dans l’eau douce et les membres déployés dans toute leur longueur. Ma mémoire a conservé le souvenir de ces délicieuses secondes où mon corps fragile ondula mollement au gré du courant, dans un état de plénitude. Puis Appolonia fit des incantations pour m’accueillir parmi les hommes, pour me lier à tout jamais à la terre de mes ancêtres et à son fleuve majestueux, puisque mon sang dilué dans les eaux de la source claire de la Mpozo irait se mêler à celles du fleuve Kongo avant d’atteindre l’océan Atlantique. Elle me sortit de la rivière afin de sectionner le cordon et d’extraire le placenta. Dès les premiers instants de mon existence, je fus une déception pour ma mère, tant elle aurait souhaité que son aîné soit un garçon. Dans un reste d’énergie, elle me tendit les bras en soupirant. Appolonia s’étonna de mes yeux grands ouverts dévoilant des nuances de clair de lune sur mes iris très sombres, puis fut captivée par leur éclat d’ombre et de lumière. De ma petite bouche retentit un étrange cri primal qui résonna dans la clairière. Une plainte, une lamentation déchirante. Sans avoir le temps de s’en émouvoir, les deux femmes en comprirent la signification lorsque, après une ultime contraction qui stupéfia ma mère, un second enfant quitta son ventre.
L’astre de nuit posa alors une lueur pâle à la surface des eaux. Il illumina un amas de chair recroquevillé en une boule inanimée. Ma pauvre petite sœur jumelle naquit les poings et les yeux fermés, sans le moindre souffle de vie. L’accoucheuse remercia les esprits d’avoir permis que l’une de nous revienne des entrailles du trépas. Elle me prit contre elle, moi qui hurlais maintenant sur la berge, me souleva et me porta à bout de bras pour me présenter au ciel en criant au miracle. Les ancêtres adressaient un signe clair aux vivants, ils leur avaient envoyé une combattante, un être à part, d’une essence inédite. Appolonia psalmodiait : ce bébé avait ressuscité, elle en était convaincue. Selon elle, j’étais le fruit d’une intelligence supérieure venant d’un passé très lointain.
En me couchant contre le sein de ma mère pour mon premier allaitement, elle s’inquiéta de son absence de réaction et remarqua la tache de sang sous son bassin. La guérisseuse examina le corps immobile allongé parmi les hautes herbes et constata que le cœur n’y battait plus. Le sourire sur le visage de l’adolescente, bien trop fragile pour enfanter, permit à Appolonia d’espérer qu’elle se soit éteinte sans souffrir. Elle embrassa la morte sur le front, ferma ses yeux grands ouverts et me serra contre sa poitrine.
Je suis arrivée dans ce monde en un moment tragique, terni par le deuil d’une sœur et d’une mère mais éclairé par l’espoir qu’incarnait ma miraculeuse survie. Au creux des bras d’Appolonia, mon cœur gardait le souvenir des semaines passées aux côtés de ma jumelle dans le ventre maternel, au sein de notre alcôve liquide et noire. En attendant nos retrouvailles, une nuit, dans l’au-delà, je conservais la complicité des dialogues muets que nous avions entretenus.
Avant notre départ pour la ville, l’accoucheuse offrit les corps des défuntes à l’onde translucide de la rivière, en suppliant les esprits de les accompagner sur leur route vers le monde invisible. De ses deux mains elle sortit le placenta de l’eau, le posa au pied d’un arbre. Lorsqu’elle fut hors de vue, l’organe prit l’apparence d’un serpent gigantesque qui grimpa le long du tronc avant de s’élancer dans les airs en quête d’un nouveau cours d’eau, d’une autre forme de vie.
L’accoucheuse me nomma Kimpa, pour rappeler que j’étais l’aînée d’une double grossesse, et Vita, en témoignage de la lutte acharnée que j’avais menée pour rester en vie. Kimpa Vita : la jumelle née de la guerre.

Avec l’accord de mon père dévasté par la disparition de son épouse et incapable de s’occuper seul d’un bébé, Appolonia me confia aux bons soins de Ma Louisa. La doyenne de São Salvador avait côtoyé les Portugais dans sa jeunesse ; elle savait comment nourrir un nouveau-né avec du lait de vache.
J’ai grandi sage et appliquée au sein d’un huis clos tendre, chaleureux et plein de fantaisie. Un monde habité par des chants et par l’univers extraordinaire des contes que ma mère adoptive me racontait chaque soir pour m’endormir. J’appréciais particulièrement la fable dans laquelle le diable, déguisé en beau guerrier, tentait de séduire des jeunes femmes qui ne se laissaient pas duper par ses mensonges. Petite, je m’émerveillais surtout des histoires incroyables qui dépeignaient les disputes ou les amitiés entre humains et animaux de la faune sauvage. Mes préférées étaient celles où le personnage du lièvre, espiègle et rusé, arrivait à duper les plus féroces créatures des plaines et des forêts : les lions, les crocodiles ou les panthères. Grâce à son audace et à son intelligence, le petit rongeur réussissait même à ridiculiser des chasseurs ou des hommes malintentionnés. Couchée sur une natte, blottie dans la chaleur des bras de Ma Louisa, je redemandais encore et encore de ces voyages incroyables, tantôt effrayants, tantôt drôles, toujours captivants. Mes rires résonna
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Même les marchands d'esclaves les plus sulfureux n'auraient pas pu tirer un prix convenable de cette fille bonne seulement à créer des problèmes. p168
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Il avait perdu une bataille, avait été blessé par une arme dont il ignorait l'existence et l'efficacité : l'espoir d'un avenir radieux, un rêve sans vainqueur ni vaincu.
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Les Portugais respectaient davantage le dogme, la hiérarchie de l'institution inventée par les hommes que le message universel porté par la parole de Dieu. Les missionnaires avaient dénaturé l'essence du christianisme et confisqué le Seigneur pour assouvir leur soif de pouvoir, quand ce n’était pas leur lubricité. Je ne reconnaissais plus aucune once d'amour dans le cœur des séculiers chargés de nous encadrer. Au nom du Tout-Puissant ils traitaient les plus fragiles d’entre nous avec rudesse, parfois avec une violence sadique, tout en menant, hors des murs de l’école, une existence contraire aux préceptes chrétiens. Il se chuchotait dans les couloirs de l'établissement qu’ils fréquentaient des prostituées lorsqu'ils se rendaient à Luanda et, pour certains, s’adonnaient même aux jeux de hasard dans des lieux de débauche. Des rumeurs supposaient que beaucoup participaient au commerce d'êtres humains et capitalisaient en prévision de leur retour au Portugal. Une religion si généreuse avait été pervertie en un vulgaire système d’oppression des plus humbles. Les enfants de Dieu, plus encore ceux du Kongo, étaient considérés par les membres du clergé comme de banals outils au service de l’enrichissement sans limite. Les graines de la révolte commencèrent à germer dans mon cœur. p. 84
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Le maître s’agenouilla devant moi et me découvrit la tête. Il prononça d’étranges incantations, frotta mon corps avec des feuilles à l’odeur répugnante. Je ne résistai pas lorsqu’on badigeonna mes paupières du reste de la mixture piquante censée m'’insuffler une vie nouvelle. Une poule blanche fut décapitée, son sang rougit mon visage, et des masques furent disposés tout autour de moi. Malgré les tentatives pour m’ensorceler, m’exciter ou me pousser à réagir, je restai de marbre. Aux premières notes de tambour, on me permit enfin d’ouvrir les yeux.
Kimpa Vita avait réussi. J’avais traversé les difficultés, avais maintes fois ressuscité. J'étais prête, me tenais sur mes deux jambes, seule face aux anciens initiés, au maître. Appolonia était également présente, cette fois j’en étais certaine ; elle avait veillé sur moi tout au long de l’épreuve. Tous s'étaient allongés à mes pieds et restèrent immobiles après avoir recouvert leurs corps de poussière. Je pris conscience de ma solitude : j'étais la seule candidate à être allée au bout de l'initiation. p. 63
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En vérité, à la manière des anges du paradis, j'aurais préféré gagner la paix par l'amour du prochain, convaincre et séduire plutôt que de soumettre par les armes.
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