Les feuilles mortes, sous nos corps, formaient un épais tapis aux doux froissis.
J'avais peur de la pluie, peur de Szidike, peur car je n'avais rien appris, car on allait m'emmener, car je ne savais pas embrasser ou parce que j'avais oublié au jardin un livre de mon père, or ces petites peurs n'affleuraient pas une à une en moi dans leur nature concrète, mais aussi grisouilles, diffuses et indistinctes que le voile de brume au-dessus de l'herbe.
Tout était blanc, infini. Le long du chemin gelé, parcouru d'ornières et défoncé par le passage des charrettes, des peupliers chauves se dressaient comme autant de tours dentelées d'églises gothiques.
Les gens me semblaient à présent clairs et limpides. Je les comprenais. Je ne les redoutais que s'il se mettaient à parler, quand leurs mots dépouillés de signification m'obligeaient à chercher le sens qui se cachait derrière.
Un morne lierre rampait à l'assaut des hauteurs, enserrant le sumac de son étreinte mortelle. Les gouttes de pluie en dévalaient les feuilles grasses et luisantes, puis glissaient sur les feuilles en dessous... ainsi de suite, toujours un cran plus bas jusqu'à toucher terre.
Derrière les nuages se profila, jaune pâle, le disque solaire, puis de nouveaux lambeaux de nuages plus sombres se glissèrent devant, et le soleil disparut encore.
Dans ces pluies torrentielles se délavaient les teintes automnales des plantes, arbres et buissons, au point que même le vert vif de l'herbe et le jaune criard du tulipier se résignaient à se fondre dans la grisaille.
De mornes nuages gris s'entrelaçaient. Il pleuvait à verse. Les gouttières percées vomissaient des trombes d'eau. Parfois, des rafales de vent s'engouffraient avec fracas dans le feuillage rarescent, racorni des arbres, et cinglaient ma fenêtre.
En ce début d'après-midi, le soleil se cherchait un accès parmi les frondaisons ombrageant la route et, çà et là sur la chaussé déserte, épanchait des faisceaux de lumière.
Les roses rongées de rouille aux rivets branlants, les pampres et autres feuilles d'acanthe tarabiscotées cliquetaient un long moment, chaque fois qu'on ouvrait ou fermait, dur à tirer, dur à pousser, le monumental portail en fer forgé. Des bruits confus de grincements fusaient alors dans le jardin silencieux, puis ricochaient mollement sur la façade aux décors de stuc de la villa sans étage.