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Critique de jlvlivres


Pablo Neruda, de son vrai nom Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto, est avant tout un poète, puis écrivain et diplomate de son pays le Chili qu'il adore. Né en 1904 à Parral, à environ 150 km au nord-est de Concepción, dans la région du Maule.
Donc jeunesse dans la région du Maule. C'est dans cette région qu'a eu lieu le dernier gros tremblement de terre du Chili en 10. La région n'est pas franchement accueillante, et plus on va vers le sud, moins elle l'est. C'est pourtant là que grandit « le jeune provincial » comme il se nomme dans « J'avoue que j'ai vécu », son livre de mémoires en prose. « Mon enfance, ce sont des souliers mouillés, des troncs cassés / Tombés dans la jungle, décorés par les lianes. C'est la découverte du monde du vent et du feuillage. ». Son père conduit les trains qui vont empierrer les voies.
La première fois que je suis allé au Chili, c'était précisément dans cette région en avion jusqu'à Tumaco et ensuite en bus vers Pucon un peu plus au sud, au pied du volcan Villarica. Long transport dans une région qui sera affectée un peu plus tard par un tremblement de terre, suivi d'un tsunami, comme si les volcans ne suffisaient pas. Il faut dire que les tremblements de terre sont nombreux dans la région et souvent dévastateurs. Et Pablo Neruda en sait quelque chose. « Je me suis réveillé au moment où le sol des rêves a manqué sous mon lit. / Une colonne de cendre aveugle titubait au milieu de la nuit, / je te demande: Suis-je mort ? ». Mais, qu'à cela ne tienne. La région est aussi l'endroit de cures thermales liées au volcanisme et les chiliens s'y rendent pendant leurs vacances d'hiver, lors de l'été austral. Je me souviens avoir été aux thermes de San Luis avec des japonais enchantés de retrouver les bains chauds, malgré une piscine relativement délabrée. de retour à Pucon, le volcan Villarica, toujours très actif, faisait rougeoyer le ciel. Il a eu une crise plus importante il y a un an ou deux qui a nécessité l'évacuation de quelques 3000 personnes, sous la menace essentiellement d'inondations subites dues à la fonte des neiges qui couvrent le volcan et sur lesquelles on peut skier.
Souvenirs heureux de Pablo Neruda, qui découvre ainsi la forêt et ses habitants, via les spécimens que les ouvriers du train de son père lui ramènent (dans les premiers chapitres de « J'avoue que j'ai vécu »). Il découvre aussi les indiens araucans, ou mapuches. A l'époque, début des années 1900-1920, il y en avait encore. C'est important ce point, je pense, cela enracine une vie. Mais comme il le raconte, on les a beaucoup chassé en utilisant « le tir à la carabine, l'incendie des chaumières et plus tard […] l'alcool », comme souvent ou toujours.
Puis une vie diplomatique, avec des postes à Rangoon, Colombo, Batavia et Calcutta. Arrive la Guerre d'Espagne et la rencontre avec Federico Garcia Lorca, juste avant de commencer son « Canto General ». Il parle beaucoup de cette période dans ses mémoires sous le titre de « L'Espagne au coeur ». C'est aussi le titre d'un ouvrage qu'il fit en Espagne, où « les soldats du front apprirent à manier les caractères d'imprimerie ». Cette période espagnole est riche pour lui « Non, l'homme ne vit pas seulement d'étoiles… ». Il y rencontre nombre de gens qui vont être ses amis, Federico Garcia Lorca, bien sûr, mais aussi Jorge Guillén et surtout Rafael Alberti et Maria Teresa Leon qui vont influencer sa façon d'écrire. «Je déclare ici que personne n'est passé près de moi qui ne m'ait partagé. J'ai brassé jusqu'au coude et rebrassé dans une adversité qui n'était pas faite pour moi dans le malheur des autres.». Retour au Chili, puis ambassadeur du Chili en France et prix Nobel en 71. Hélas, le président Allende est renversé et assassiné en septembre 73. Pablo Neruda meurt quelques jours plus tard, officiellement d'un cancer de la prostate, mais le gouvernement de Pinochet ne peut éviter les soupçons d'empoisonnement par un biochimiste chilien. Sa maison à Valparaiso est incendiée et ses livres brulés. Quand on ne peut détruire la pensée, on la brûle.
le Chili est au coeur de ses écrits. « Cordillères / enneigées, / Andes / blanches, / parois / de ma patrie, / que de / silence / tout autour / de la volonté, des luttes / de mon peuple. / Là-haut les montagnes / argentées, / là en bas le tonnerre vert / de l'océan. / Cependant / ce peuple / creuse les solitudes / hérissées, / sillonne / les vagues verticales, et dans la soirée prend / sa guitare, / et chante tout en marchant ». Il faut reconnaître que le Chili, c'est un grand pays 5500 km du nord au sud et de 200 à 300 km d'ouest en est, de la mer à la montagne. de plus, dans le nord, là où le Chili est le plus large, la cordillère côtière baigne presque dans la mer, mais est séparée de celle des Andes par une vaste région désertique, dont le célèbre désert d'Atacama. Ce qui est magnifique, que ce soit vu depuis Santiago, ou mieux vu d'avion quand on va vers le nord, est cette cordillère qui culmine aux environs de 5000 m, et comme posé par-dessus, il y a l'Aconcagua, qui frôle les 7000 m. Une montagne posée sur les montagnes, grandiose. « L'hiver / les Andes / se recouvrent / de leur nappe infinie, / l'Aconcagua / a cristallisé les crins / de sa tête blanche, / elles dorment / les grandes cordillères, / les sommets / sous / le même immense drap, les fleuves / durcissent, / sur la planète tombe / la neige / comme un frisson multiplié ». C'est à ces moments que l'homme redevient, ou devrait redevenir, un objet modeste dans la nature. L'autre coté du pays, c'est la mer. L'océan Pacifique, froid à cause du courant de Humbold qui remonte depuis l'Antarctique, on s'y baigne en vitesse. Par contre les plages, quand il y en a sont désertes, sauf quelques otaries qui viennent s'y reposer, repues après avoir suivi les bancs d'anchois. Un plaisir de marcher le long de ces plages désertes, mais qui sont envahies par les voitures l'été, les sud-américains aimant avoir leur objet de consommation principal près d'eux. Fruits de mer délicats, des oursins, surtout dont les tests se retrouvent en tas au bord des plages rocheuses, et dont seul le corail est vendu sur les marchés, dont celui d'Antofagasta, où je m'en suis quasiment gavé. Un régal, avec une bière fraiche un peu corsée par le jus de un ou deux limons. Toujours sur la plage, les oiseaux, des frégates par bancs entiers, des mouettes aux pattes rouges qui s'envolent en criant. « Je dis bonjour au ciel. / Plus de terre. Elle s'est détachée / hier cette nuit du navire. / Derrière est resté le Chili / et seuls quelques oiseaux sauvages / continuent à voler levant / le nom obscur et froid de ma patrie. »
Entre la mer et la montagne, la cote, souvent déserte, ou avec des villages perdus. Seule consolation, dans la courte étendue plate au pied de la cordillère, une fois par an, vers aout-septembre, un peu de pluie, ou plutôt de la condensation sur les pentes qui vient arroser les quelques plantes. Et alors durant une petite semaine la magie du « desierto florido », le désert fleuri, du violet-parme, jaune et rouge à perte de vue. A y voir de plus près, il s'agirait plutôt de touffes éparses qui sont posées de ci de là. Mais c'est si rare… la contrepartie, c'est aussi que de l'autre coté de la cordillère, à où tout est nu et désertique, il se forme des bancs de brouillard le matin. Comme c'est aussi l'endroit où passe la route goudronnée, toute droite sur des kilomètres, c'est toujours une surprise que de rouler à 120-130 km/h dans le brouillard, et d'apercevoir soudain la masse d'un camion, tous feux éteints bien sûr, qui lui se traine à 40-50 km/h. Magie du désert, mais pourtant désert très différent des déserts de sables comme le Sahara. Désert de pierre, comme au sud d'Atacama ou plutôt d'herbe rase comme sur la côte « Intolérable voix, sel / disséminé, cendre / substituée, thyrse noir / avec sa perle extrême où la lune apparaît / aveugle, en des couloirs de cuivre en deuil. / Quel matériel, quel cygne creux enfonce dans le sable son nu moribond et durcit sa clarté liquide et lente ? / Quel dur rayon brise son émeraude / entre des pierres indomptables, / cristallisant le sel perdu ? » Magie du désert minéral. Et pourtant cela reste très beau, avec de rares traces de vie, peu d'oiseaux, plutôt des lézards et des petits rongeurs. Désert minéral qui change de couleur dans la journée. Froid, voire même glacial la nuit. Chaud et sec le jour. Oh ces couleurs qui changent avec l'inclinaison du soleil au sud de l'Atacama. Seules les ocres des peintures rupestres de Peine au sud du Salar, restaient telles qu'elles étaient et qu'elles seront, malgré la non-préservation du site. Mais avant d'aller voir les peintures, il a fallu passer deux nuits à Peine, avec un confort très relatif, je ne crois pas m'être rasé, et si peu lavé, pendant ce temps.
Et puis le Chili c'est aussi la culture, la chanson et une certaine liberté, quelque peu malmenée pendant la période Pinochet. Toujours une anecdote à propos d'Atacama, et son désert où il existe des terrains interdits. Non pas qu'ils soient accidentés ou zones à protéger. Non, simplement car ils formaient la bordure de camps de prisonniers sous le régime de la junte, et qu'ils sont minés pour prévenir toute évasion. Hélas, les mines en terrain sablonneux ont tendance à se promener. Pablo Neruda n'a pas eu à voir cette époque, mais il la pressentait. « du Nord au Sud, où l'on broya / ou incinéra les cadavres, / leurs os furent enterrés dans les ténèbres / ou brûlés en silence dans la nuit, / entassés dans un trou de mine / ou crachés à la mer : / nul ne peut dire où ils se trouvent, / ils n'ont de tombe, ils sont épars / aux racines de la patrie, / les doigts martyrisés : / les coeurs des fusillés : / le sourire de nos Chiliens, / des valeureux de la pampa, / des capitaines du silence. // Nul ne sait où les assassins / ont enterré ces corps, / mais ils surgiront de la terre / et reprendront le sang versé / le jour de la résurrection du peuple. »
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