Citations sur Bidoche (102)
Le 20 mars 2008, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), organisme prestigieux et célèbre, publie les résultats d’une étude qui décoiffe. Les Français ne s’hydrateraient pas assez. Et feraient donc bien de boire davantage d’eau, mais aussi de sodas. Ah. Mais le journaliste William Reymond, fouineur, découvre quelques étrangetés. Notre déjà vieille connaissance, France Bellisle, participe à la conférence de presse du Credoc en sa qualité de chercheuse à l’Inra, mais sans expliquer que c’est l’entreprise Coca qui l’a empruntée quelques instants pour donner un coup de main à cet organisme, dont l’étude est sponsorisée par… Coca, bien sûr.
Que n’apprend-ton pas à la lecture du journal professionnel Stratégies en date du 12 février 2009 ? Sous un titre inquiétant – « Le Centre d’information des viandes contrôle le buzz »-, l’hebdo du marketing révèle que le CIV « veille à tout ce qui se dit dans les forums, les blogs ou les commentaires d’articles des sites médias. Bras d’information d’Interbev, le syndicat chargé de la promotion de la viande (hors charcuterie), le CIV pondère sur la toile certains arguments développés par les lobbies végétariens. » Un système d’alerte automatique permet à Louis Orenga de prévenir toute situation de crise. Il reçoit « des rapports hebdomadaires avec verbatim et analyses, et fait le point chaque mois dans des réunions de pilotage ». Mazette, c’est la guerre.
70% de note surface agricole ! Pour des poulets, des vaches et des veaux, des porcs dont les consommateurs ne veulent plus. 70% ! L’alimentation animale est de très loin le principal débouché de l’agriculture française –et européenne- mais ce fait ahurissant semble l’un des secrets les mieux gardés de la place publique. On notera au passage la supercherie qui consiste à clamer, dans les campagnes publicitaires, que l’agriculture européenne a vocation à nourrir les hommes. La vérité est différente : l’agriculture est au service de la viande.
Une étude menée par le réseau Epic (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition) sous la direction d’Elio Riboli a été publiée en 2005. Impressionnante par son ampleur -521 000 individus suivis-, elle montre sans détour que la viande rouge est un facteur important de la survenue de ce cancer [colorectal], qui touche 36 300 Français de plus chaque année. Un français sur 25 a ou aura un jour un cancer du côlon, ce qui n’est pas rien. Or, dans l’étude Epic, les plus gros consommateurs de viande rouge de l’échantillon augmentent de 35% leur risque de développer cette maladie par rapport à ceux qui en consomment moins.
[…] selon des estimations officielles rapportées par le journaliste américain Eric Schlosser dans un best-seller, 20 000 Américains sont chaque jour contaminés par des bactéries présentes dans la nourriture. Par jour ! En un an, plus d’un quart de la population souffre d’une intoxication alimentaire. Chaque jour, 900 personnes sont hospitalisées et 14 meurent. Chaque jour !
[…] L’étonnant est peut-être qu’il n’y en ait pas davantage.
Encore un point notable : ne jamais oublier le rôle des déchets dans l’alimentation des poulets industriels. Rien n’est jeté, ce serait trop bête. On garde les plumes, la crotte, les lisières les plus souillées, que l’on transforme en une joyeuse farine qui servira à engraisser un peu plus vite les animaux pénitentiaires. Or l’on sait que H5N1 peut survivre jusqu’à 35 jours dans les excréments du poulet. Le virus a donc tout le temps qu’il lui faut pour circuler d’un bout à l’autre de la terre, en se moquant, comme il se doit, des rarissimes contrôles vétérinaires.
Revenons donc au H5N1. Ou plutôt à la douteuse théorie qui fait des migrateurs l’une des causes majeures de la dispersion du virus. […]
Pendant trois ans, de 2002 à 2005, ces scientifiques ont multiplié les prélèvements chez des oiseaux migrateurs fréquentant des sites asiatiques. Au total, 13 115 échantillons ont été examinés sous tous les angles. Et combien de souches de H5N1 au total ? 6. Oui, 6 !
Au même moment, […] des études concordantes, chinoises, démontrent que le virus est bien plus présent dans la volaille domestique : on le trouve dans 1% des 5 000 volailles –apparemment saines- étudiées sur des marchés du sud de la Chine, de même que 5% d’autres types viraux. C’est énorme !
Au total et en résumé, tout indique que les oiseaux sauvages jouent un rôle parfaitement marginal dans le drame. Et que la cause essentielle, massive, repose sur une industrie concentrée qui reproduit sans cesse les conditions du malheur en expédiant sans précaution, chaque jour, des millions d’animaux qui n’en sont plus réellement. Les routes commerciales de l’élevage intensif sont le vecteur principal de la dissémination.
En 1970, l’universitaire Jean Boichard livre, dans la revue Géocarrefour, l’une des clés d’un possible décollage de la « production » : l’alimentation. Selon lui, un jeune bovin doit pouvoir « prendre, en moyenne, 1200 grammes par jour pendant quinze mois, de telle manière qu’il atteigne à cet âge le poids vif de 580 kilos ». Seulement, il faut rompre radicalement avec l’herbe, cet éternel aliment de l’animal. Il ne faut pas « encombrer son estomac avec des aliments grossiers et aqueux ». pardi ! Or l’herbe est grossière. Or elle est absurdement aqueuse. Songez que, traduits en unités fourragères (UF) de base, 7 kilos de céréales –dont ce beau maïs qui a méthodiquement détruit la moitié de la France- équivalent à 60 kilos d’herbe !
Question : « Mais ce pouvoir, ne pourrait-on envisager que quelqu’un l’extrapole à la société des hommes ? » Février, avec une moue dubitative : « Rien n’est impossible, mais il y a des obstacles. […] Il faudrait une continuité extraordinaire dans une politique pour modifier la société des hommes comme on modifie aujourd’hui la société des poulets, des porcs et des bovins. […] Il faudrait compter je pense un siècle au moins pour parvenir à un tel résultat. »
Ultime question : « C’est-à-dire que le régime hitlérien, s’il avait vécu un siècle, aurait pu réaliser en quelque sorte grâce à vos travaux, ce qu’il n’a pas pu faire ? » Dernière réponse de Février : « Des gens comme Hitler auraient pu faire ceci, mais l’expérience prouve qu’ils ne vivent pas assez longtemps pour faire tout ce mal. »
« Au lieu de laisser les enzymes agir dans nos estomacs, eh bien on peut injecter les enzymes dans la carcasse de l’animal et leur laisser faire le travail d’attendrissement avant consommation. […] On pourrait, si on le désirait, prédigérer l’animal, en quelque sorte, et rendre les morceaux plus tendres dans l’assiette. Ceci n’est pas encore appliqué. Cela ne dépend que de nous de le faire. »
Raymond Février