La souffrance, pensait-il, devrait avoir un poids, son poids spécifique, être identifiable comme un minerai qui n'existe nulle part ailleurs, une monnaie stable dans laquelle les cadavres, le sang, les blessures, les maladies, les humiliations seraient pris en compte, et qu'on retrouverait sur les champs de bataille, dans les prisons,sur les lieux d'exécution et dans les hôpitaux, telle un monument à la signification immuable en dépit du temps et du lieu.
Il créait des histoires en projetant son monde intérieur sur le monde extérieur, sans chercher pour autant à "représenter" directement sa propre personne.
INCIPIT
"Voilà, bien sûr, ce que doit faire un écrivain, dit l'écrivain. Planer comme un aigle au-dessus des personnages qu'il veut suivre."
les choses que tu imagines ,dès lors qu’elles sont possibles , sont, du même coup ,réelles
En se rasant; contrairement à son habitude, il regarda son image dans le miroir ; il se vit les yeux injectés de sang : j'ai l'air d'un porc et je suis bête comme un porc - la phrase lui plut, il la répéta plusieurs fois à voix haute, et elle ricocha entre les murs de la salle de bain.
Autrefois, pourtant, tu as écrit quelques bonnes choses."
"Oui, autrefois. A cette époque je n'y réfléchissais pas encore."
"Tu dois recommencer."
"A quoi faire ?"
"A ne pas y réfléchir. Ecrire, c'est travailler. Quand un peintre passe sa journée à réfléchir sur la peinture, il ne peint plus."
"Cela pourrait donner une autre dimension à sa peinture."
"Mais s'il ne peint pas ou ne le verra pas. Et en plus, cette autre dimension plutôt que pas de dimension du tout parce que pas de tableau, qui veux-tu que ça intéresse ?"
"Lui-même peut-être."
L'autre écrivain essuya la bouche de sa main d'écrivain (à quoi peut vous servir une main, tout de même) et dit : "Faux-fuyants, tout ça, sottises et faux-fuyants."
Il n'existait à ses yeux qu'une seule culture : la culture latine, celle de la lumière. Les Bulgares étaient des barbares, au même titre que les Russes et les Turcs, et les Balkans un enfer, une marmite bouillonnante pleine du sang répandu dans des guerres stupides et inutiles. La seule chose à faire, c'était de transformer le tour en un grand boudin noir que l'on donnerait à dévorer au reste du monde.