Citations sur Les Enfants de Cadillac (48)
Ayant rattrapé mes retards de lecture, je pouvais désormais expliquer et transmettre la littérature et la pensée françaises, même si des intellectuels dits "de souche" considèreront toujours qu'il faut avoir plusieurs siècles de francité derrière soi pour prétendre connaître la culture de la France.
Pendant ces années trente, donc, toi, Albert, fois d'un juif russe et d'une juive autrichienne, tu poursuivis le mouvement d'assimilation et d'effacement de la mémoire généalogique.
À l'expression « venir de » qui déclenche la narration biographique pourrait se substituer celle de « tomber sur » qui ouvre l'avenue à des bifurcations, des carrefours et des transferts : sur qui êtes-vous tombé ? Sur quoi, pour avoir suivi ce chemin ? Demanderait-on. Comment suis-je tombé sur une sonate de Prokofiev pour comprendre qu'on pouvait vivre dix fois plus en jouant du piano ? Comment suis-je tombé sur "Les nourritures terrestres" et "Aurélia", deux livres qui m'ont fait découvrir, vers seize ans, qu'un livre pouvait apprendre à voir, à sentir et à rêver . Ces rencontres de hasard ont provoqué des enthousiasmes, orienté des choix, entraîné des relations, déjouant la logique des héritages. Elles relèvent de l'option et de l'adoption.
On racontait là- bas, au début du XX ème siècle, qu'un pays extraordinaire , du moins une part de ses élites, avait défendu un Juif, nommé Alfred Dreyfus,contre le mensonge et l'injustice.
Lorsque l'antisémitisme venait des néonazis et de l'extrême-droite, il était pur comme le fer de la croix gammée. (...) Mais le harcèlement et la mise à mort des Juifs en France, au XXIème siècle, suscite à présent la gêne plus que l'indignation.
Pourquoi ne m'avais-tu jamais raconté cette histoire, et toute ton épopée dans la folie assassine de la guerre qui n'en finit pas avec la pulsion de mort ? Par pudeur ou par un désir impossible d'oublier le mal ? Ou voulais-tu protéger le secret de ces cinq années, pas si intime qu'il ne puisse tenir dans une vérité générale : l'humanité et sa propension au pire. Une capacité au mal, après quoi la chiennerie des chiens, ou la sauvagerie des bêtes sauvages paraissent les plus douces, voire souhaitables tant on peut encore en mesurer les limites, tandis que l'autre, qu'on ne peut nommer, est un abîme sans fin.
Dans une veine semblable, Maurice Barrès écrivait, un siècle plus tôt, que Zola, en raison de ses ancêtres italiens, n'était pas français et que, sur tous les sujets, il y aurait toujours une frontière entre lui et l'écrivain aux racines étrangères : les Alpes.
Soudain tu te sens juif, toi qui n’a jamais pratiqué la religion qui ne t’es jamais fait traiter de sale Juif, dont ni la femme ni les amis sont juifs. Certes tu savais que tu étais juin, mais maintenant le qualificatif s’est transformé en substantif : tu ES un Juif, en substance, dans ton être. Le mot te tombe dessus, en français et en allemand, Jude, salement prononcé, comme une infamie qu’on crache, entraînant la sanction qui te bannit de la communauté des Français et plus largement des hommes puisque tu rejoins la catégorie des Untermenschen. Sous-homme, tu es sorti du rang .
À quelles expériences familiales doit-on ce que l'on est devenu ? Comment les désirs des parents, leur volonté d'acquérir une identité, une place, une réputation se répercutent-ils sur les êtres qui leur succèdent?
Pourquoi inhumait-on les fous à part, comme s'ils risquaient de contaminer les cadavres des humains normaux dans les cimetières publics? Jusque dans la mort, derangeaient-ils la raison commune ? De fait, on appelle aujourd'hui cet espace abandonné "cimetière des oubliés" [...] Chaïm a été enseveli, à même la terre, dans le "carré des fous".