- Ainsi donc, Emily doit vous succéder en tant que capitaine ? dit Laurence. Puis-je vous demander si les dragons, je veux dire ceux qui vivent très longtemps, se transmettent toujours de cette manière ?
- Chaque fois que c'est possible. Ils ressentent très durement la perte de leur pilote, voyez-vous, et ils en acceptent plus volontiers un nouveau s'il s'agit de quelqu'un avec qui ils sont liés et qui partage leur chagrin. Si bien que nous devons nous reproduire au même titre qu'eux ; j'imagine qu'on vous demandera vous-même d'engendrer un ou deux rejetons pour les Corps. (Jane Roland, capitaine d'Excidium (un dragon))
- Juste ciel !
- Mais dites-moi, Laurence, est-ce vous qui lui avez appris à nager ? (Sir Howe)
Avec un sursaut, Laurence regarda son dragon, puis écarquilla les yeux : en son absence, Téméraire était entré dans l'eau et s'y ébattait joyeusement.
- Seigneur non ; c'est la première fois que je le fois faire cela, dit-il. Comment se peut-il qu'il ne coule pas ? Téméraire ! Veux-tu bien sortir de l'eau ? cria-t-il avec une pointe d'angoisse.
- Vous êtes très aimable ; j'étais loin de me douter que les dragons avaient d'aussi bonnes manières, dit-elle (Mme Allendale, la mère de Laurence). Vous prendrez le plus grand soin de William, n'est-ce-pas ? Il m'a toujours causé deux fois plus d'inquiétudes que n'importe lequel de mes enfants, toujours à se fourrer dans les mauvais coups.
Laurence fut quelque peu choqué d'entendre parler de lui en ces termes, et d'entendre Téméraire répondre :
- Il ne lui arrivera rien, je vous le promets.
- Je vois que je me suis trop attardé ; bientôt, vous allez m'envelopper dans des langes et me nourrir de bouillie, tous les deux, dit-il en se penchant pour embrasser sa mère sur la joue.
Je n'ai plus rien à ajouter messieurs. A vos dragons!
Téméraire contempla le poisson d'un air dubitatif, puis en mordilla un bout; bientôt le thon entier eut disparu dans sa gorge: une pièce qui faisait douze bonnes livres. Se pourléchant les babines, il déclara:
- C'est croustillant mais j'aime bien.
Les chinois ainsi que les japonais, d'ailleurs, lui donnent le nom de "vent divin". Cela ne vous apprendra pas grand-chose de plus que l'expérience que vous en avez faite vous-mêmes, si ce n'est un point capital : cette faculté est spécifique à une seule race, et une seule - celle des célestes.
S'ensuivit un long moment de silence; Laurence ne savait pas quoi penser. Téméraire semblait tout aussi indécis.
-Est-ce différent d'un Impérial? s'enquit-il. Ne sont-ce pas deux races chinoises?
Très différent, lui répondit sir Edward. Les impériaux sont très rares; mais on ne donne les Célestes qu'aux empereurs en personne, ou à leurs proches parents. Je serai surpris qu'il en existe plus de quelques douzaines dans le monde entier.
- Je ne doute pas qu’ils seront contrariés de voir l’un de leurs joyaux en possession d’un simple officier britannique.
- Je ne vois pas en quoi cela concerne le moins du monde Napoléon ou les Chinois, s’indigna Téméraire. Je ne suis plus dans ma coquille, et je me moque que Laurence ne soit pas dans sa coquille. Nous avons vaincu Napoléon au combat et l’avons mis en fuite, tout empereur qu’il est ; je ne vois rien de particulièrement enviable dans ce titre.
Laurence s’accorda encore cinq minutes à rester ainsi, bien au chaud, les mains sur les écailles étroites et tendres du nez du dragon.
– J’espère ne jamais t’avoir rendu malheureux, mon ami, dit-il doucement.
– Jamais, Laurence, dit tout bas Téméraire