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Critique de Carolina78


J'ai pris au vol Monstresoeur qui venait d'être placé sur le rayon des nouveautés de ma médiathèque, une prise très mesquine de ma part sachant que j'avais un a priori contre Joyce Carol Oates et que je me doutais bien que ce livre allait être très convoité.

En effet, il y a un peu plus d'un an, j'ai lu Mudwoman. Voici ce que j'ai écrit à l'époque :

« J'ai été séduite au départ, mais très vite énervée par les répétitions incessantes de Mudwoman ceci, Mudwoman cela, j'ai déchanté car ça devenait trop touffu pour moi, trop de références qui m'échappaient, des textes en italique dont je ne comprenais pas la pertinence, et pour parachever mon désarroi, je n'arrivais pas à me repérer entre la réalité et la fiction ».

Montresoeur est un recueil de douze nouvelles, scindé en trois parties.

Dans la première partie : « Somme nulle », « Monsieur Pot de colle », « Maladie d'amour », « Moineau », « le froid », « Prenez-moi, je suis gratuit », j'ai retrouvé les mêmes travers que Mudwoman.

J'ai été déstabilisée par la théorie des jeux et la somme nulle, des références pointues à Hobbes, W.V Quine, Wittgenstein, Davidson…, et irritée par l'excès de détails, qui ne s'emboitaient pas entre eux, et la noirceur des propos.

Mon intérêt s'est éveillé soudainement dans la partie centrale, avec "Le Suicidé", la plus grosse nouvelle, presqu'un petit roman, plus de soixante dix pages. J'étais dedans, surtout que le sujet rejoint « le danger de ne pas devenir folle » de Rosa Montero que je venais de terminer.

Le Suicidé est un écrivain reconnu, alcoolique, obsédé par l'envie de se suicider. Il ne cesse de s'interroger sur le mode opératoire, sur s'il doit laisser une lettre ou pas, sur le bon moment pour passer à l'acte. Il méprise sa femme, qui est folle de lui, parce qu'il se méprise lui-même, il se dégoûte même. Il imagine les réactions à sa mort.

"Au moins, il a tout planifié.
[…]
(Il aurait aimé l'ironie de la chose. « Corde à sauter ». Un signe que même sa mort, il ne l'avait pas prise au sérieux.)

(Ce qui était vrai. Est vrai. Il est la quintessence du « branché », « du cool ». La mort est juste un cliché de plus. Qui se prête à la parodie. « Kitsch ».)

(Mais alors, il avait découvert dans un roman policier français d'un auteur dont il n'avait jamais entendu parler une scène où un personnage déprimé se pendait dans une chambre d'hôtel avec une corde à sauter d'enfant – et toute la joie que lui inspirait son plan s'était évaporée. L'ultime geste de la vie du Suicidé n'allait pas être un « plagiat » !)". (p.200)

J'étais conquise et c'est avec grand plaisir que j'ai poursuivi la troisième partie : « le babyphone », « Monstresoeur », « Une théorie pré-post-mortem », « Ceci n'est pas un exercice », « MARTHE : un référendum », nouvelles qui ont une connotation fantastique et /ou futuriste.

« Monstresoeur » nouvelle au titre éponyme est exemplaire dans le genre. Il s'agit d'une excroissance du cerveau qui devient vivante et autonome.

"Enfin – pas un véritable « visage ». Une sorte de « visage » de raie manta. Dans cette chose spongieuse, des indentations à l'endroit où se trouverait un visage : cavités peu profondes pour les « yeux », petits trous noirs pour les narines, l'ébauche d'une bouche, une fente superficielle, une bouche de mollusque… (p.299)
[…]
Un « fredonnement-bourdonnement » aigu sortait désormais de la bouche cachée derrière le voile recouvrant cette face plate de raie manta, des notes de musique à l'étrange beauté surnaturelles qui donnaient à ses auditeurs des frissons tout le long de la colonne vertébrale". (p.312)

« le babyphone » est une parodie de la surprotection des nourrissons. le bébé virtuel, projeté par la caméra, prend la place du bébé réel.

« Si vous souhaitez connaître la peur, faites venir un bébé au monde ». Incipit en italique p. 241

Joyce Carol Oates dresse un portrait au vitriol de la société. Elle crée une ambiance oppressante où les sentiments sont des chimères, où la communication, la famille, l'instinct maternel, la communication sont biaisés. Les personnages sados narcissiques se meuvent anarchiquement dans un délitement des valeurs et une absence de repères. L'autrice dénonce de façon satyrique le dérèglement climatique, la robotisation (les « IACitoyens »), le totalitarisme, la pandémie…

Monstresoeur est une compilation de nouvelles, déjà publiées dans des revues, qui correspondent à des périodes différentes. C'est une bonne initiation à la complexité de l'oeuvre foisonnante de Joyce Carol Oates, qui fait partie des 2% de la population avec un QI supérieur à 130 ou 150 (en fonction du test).

Finalement, Monstresoeur s'est révélé captivant après un début ardu.

Je file à la médiathèque parce que la liste d'attente est longue !
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