D'habiter la même planète, à la même époque, une fraction minuscule de temps comprise entre des milliards de siècles – et, miracle ! de se rencontrer tout de go dans la rue, au restaurant, à l'église, aux Folies-bergères, dans l'ascenseur ("Ah ! c'est toi ! ... – Ah ! c'est nous ! ..."), ne devrions-nous pas nous jeter dans les bras les uns des autres, balbutiant, riant et sanglotant, et nous lancer quelques compliments?
Dans une de mes pièces de théâtre, Carlos Rodriguez Laurenza, cow-boy et beau balafré, alors qu'il se trouve dans le ranch des Rockefeller, cernés par les Peaux-Rouges et sur le point d'être exterminés, affiche une sérénité exaspérante. Paméla, dix-sept ans, beauté sauvage, ne peut s'empêcher de lui demander, tout en torturant ses anglaises d'un doigt agile: "On dirait que la mort, ça vous est égal". Et lui, Carlos: "Peut-être, mademoiselle; certains moments, je me sens étranger à ma propre existence.
Et bien, notre cow-boy exprime là, d'une manière étonnante ‒ pensons qu'il n'a été qu'à l'école du bétail, des Apaches, des bordels et des tueurs professionnels ‒ ce que moi-même, citadin du vingtième siècle, ancien élève du petit et du grand lycée Condorcet, je ressens de la manière la plus vive. Oui, ce sentiment permanent, non seulement de l'incongruité de l'existence, mais aussi d'y être bizarrement étranger, "d'avoir à peine quelque chose de commun avec moi-même".
Quelques mosquitos [...] par leurs tzitzitements obstinés, apportaient une note d'énervement qui rendait encore plus sensible la torpeur ambiante, la rumeur du néant.
Il allait d'estaminet en estaminet en quête de soi-même et, déclarait-il, pour atteindre l'"état flamboyant".
Le poète entre dans le temps par effraction; il l'abolit.
Le temps ne coulait pas, le temps, comme pris dans les hélices des ventilateurs, tournait en rond... Quel ennui!
Mon âme, ma petite âme, mon âmelette.
On ne dira jamais assez la beauté du désert. Sauvagerie étale.
(Parlant de la Mongolie) Elle me fredonnait des mélopées barbares qui me pacifiaient.
Nous portons en nous, secrètement, le fruit de notre avenir.