AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Caro29


Il était modeste George Orwell. Selon lui, il lui aurait fallu « la plume d'un Zola » pour procéder à la description d'un moment passé dans l'hôtel X où il a travaillé à Paris. La plume d'un Zola ? Ce n'est que mon point de vue de lectrice, mais je pense que cela n'aurait pas été nécessaire. Car ce récit de George Orwell, qu'il jugeait lui-même « banal » (c'est trop de modestie !) est incroyablement riche, que ce soit en descriptions, en détails et en ressentis. Si bien qu'il est très simple de plonger dedans, de patauger avec les plongeurs, les trimardeurs et les chemineaux, de comprendre la faim, l'ennui et le désoeuvrement que subissent ces marginaux et de ressentir beaucoup d'injustice.

On ne sait pas très bien comment George Orwell s'est retrouvé à Paris. En tout cas, il ne l'explique pas dans son livre. On sait en revanche comment il s'y est retrouvé dans la dèche : il s'est fait volé une partie de ses économies et il a perdu son travail de professeur particulier. A partir de là, il raconte toutes les étapes de sa descente aux enfers – un enfer qui prend la forme à Paris des caves de l'hôtel X où il était plongeur, et à Londres de la puanteur et de la vétusté des asiles de nuit à quelques pence. Et ce récit est édifiant. Vivre plusieurs jours sans manger ? C'est possible. Infernal, certes, mais possible car il l'a fait. Ne pas pouvoir fermer l'oeil de la nuit dans une chambre infestée de punaises ? Ça aussi. Se nourrir de thé, de pain rassis et de margarine pendant des semaines ? Ce fut son régime. Alors forcément, quand on vit de cette façon, quand on côtoie de près des mendiants, quand on comprend ce que signifie la malnutrition et quand on doit mettre ses vêtements « au clou » pour s'acheter une miche de pain, il y a de quoi gamberger. Et ça donne Dans la dèche à Paris et à Londres.

Et au coeur de ce récit, Orwell livre quelques réflexions personnelles. La première concerne les « besognes aussi fastidieuses qu'inutiles ». Pour lui, et parce qu'il a dû travailler dix-sept heures par jour pour un salaire qui lui permettait à peine de payer sa chambre et de se nourrir, le plongeur est un « esclave » qui n'a aucune vie personnelle et ne peut espérer fonder une famille. Il explique notamment qu'on « continue à lui imposer ce travail parce que règne confusément chez les riches le sentiment que, s'il avait quelques moments à lui, cet esclave pourrait se révéler dangereux ». On sent déjà 1984, non ? La deuxième réflexion d'Orwell concerne la misère qui n'est, écrivait-il, « pas seulement insupportable par les souffrances qu'elle cause, mais aussi et surtout en ceci qu'elle pourrit un homme au physique comme au mental ». Et on les ressent bien les privations de toutes sortes, l'oisiveté forcée (celle-ci n'est pas considérée comme un « danger » par les plus riches car les mendiants, tenaillés par la faim, n'ont pas la force de se révolter) et la vie de vagabondage à laquelle ils sont réduits. Orwell, qui a vécu cette vie de chemineau en attendant de prendre son poste à Londres, les explique parfaitement. Et tous ces détails lui permettent, enfin, d'interroger les lecteurs que nous sommes : qu'est-ce qui donne donc le droit à la société de les mépriser ?

C'est peut-être un peu long pour dire que j'ai trouvé ce récit vraiment très intéressant et bouleversant par endroits. Evidemment, certains éléments sont obsolètes (les dépôts de mendicité, le travail de plongeur tel qu'il est décrit dans ce livre, le trimard, les chemineaux, etc.) mais il reste très actuel sur beaucoup de choses (le travail, la pauvreté, etc.) et il permet de réfléchir. Un récit fascinant !
Commenter  J’apprécie          309



Ont apprécié cette critique (27)voir plus




{* *}