Que dire de Sherlock Holmes, de Vice Versa, de Dracula, de Helen’s Babies ou des Mines du roi Salomon ? Ce sont des romans tout à fait absurdes, des livres dont on rit plutôt que des livres qui nous font rire, et que leurs auteurs eux- mêmes ne prenaient pas franchement au sérieux ; mais ils ont survécu et ont certainement une vie encore longue devant eux. Tout ce que l’on peut dire à leur sujet est que, aussi longtemps que la civilisation fera que chacun a parfois besoin de distraction, la littérature « légère » y aura sa place ; et on aurait tort de nier l’existence d’un authentique talent, ou d’une grâce innée, qui joue un rôle plus important dans la survie d’une œuvre que l’érudition ou la puissance intellectuelle.
Il y a des livres qu'on lit et qu'on relit, des livres qui meublent notre esprit et modifient notre rapport à l'existence, des livres dans lesquels on pioche mais qu'on ne lit jamais en entier, des livres qu'on lit d'une traite et qu'on oublie en une semaine... et tous ces livres peuvent coûter le même prix. […] Et si notre consommation de livres demeure aussi faible qu'au-paravant, ayons au moins la décence d'admettre que cela est dû au fait que la lecture est un passetemps moins captivant que les courses de chiens, le cinéma ou le pub, et arrêtons de raconter que les livres, achetés ou empruntés, coûtent trop cher.
L'existence de la bonne mauvaise littérature - le fait que l'on puisse être amusé, captivé ou même ému par un livre que l'intellect refuse de prendre au sérieux - nous rappelle que l'art et la pensée sont deux choses distinctes.
C'est lorsqu’on commence à entretenir une relation professionnelle avec les livres que l'on découvre à quel point il sont généralement mauvais.
Les livres que j'ai comptabilisés sont ceux que j'ai chez moi, dans mon appartement. Comme j'en ai à peu prés le même nombre entreposés ailleurs, j'ai multiplié par deux le chiffre obtenu pour arriver à la somme totale.
Une grande partie des gens qui poussaient la porte du magasin appartenait à une engeance qui aurait été pénible n'importe où, mais à qui la librairie ouvrait des possibilités insoupçonnées. Ainsi de la délicieuse vieille dame qui "cherche un livre pour un infirme" (une requête d'ailleurs très courante), ou de cette autre non moins délicieuse vieille dame qui a lu un livre formidable en 1897 et se demande si vous pourriez lui en trouver un exemplaire. Elle en a malheureusement oublié le titre et l'auteur, et jusqu'au sujet, mais elle se souvient bien qu'il avait une couverture rouge. Ce sont deux variétés de casse-pieds qui se retrouvent chez tous les bouquinistes (...).
Ainsi, rien ne changera tant que l'on continuera à juger que tous les livres méritent d'être chroniqués. Il est pratiquement impossible de traiter un grand nombre de livres sans tresser des lauriers immérités à l'écrasante majorité d'entre eux. C'est lorsqu'on commence à entretenir une relation professionnelle avec les livres que l'on découvre à quel point ils sont généralement mauvais. Dans plus de neufs cas sur dix, la seule critique objective consisterait à dire : "Ce livre est nul", et la véritable réaction du chroniqueur serait probablement : "Ce truc ne m'intéresse pas le moins du monde, et je n'écrirais pas une ligne dessus si je n'étais pas payé pour le faire." Mais un journal publiant ce genre de choses perdrait tous ses lecteurs.
(...) l'exhibitionnisme et l'apitoiement sont les deux fléaux du romancier (...).
L’existence de la bonne mauvaise littérature – le fait que l’on puisse être amusé, captivé ou même ému par un livre que l’intellect refuse de prendre au sérieux – nous rappelle que l’art et la pensée sont deux choses distinctes.
[…] je dois admettre, pour avoir exercé les deux métiers, que le critique de livres est toutefois mieux loti que le critique de films, lequel ne peut même pas travailler de chez lui et doit se rendre à des projections privées à onze heures du matin. De lui on attend, à une ou deux exceptions notables, qu’il brade son honneur contre un verre de mauvais sherry.