Citations sur Le peuple de mon père (31)
A l'époque, on ne parle pas d'apatride, puisque ce mot n'apparaîtra qu'en 1954, lors d'une convention à New-York qui en fixe les termes. Ce n'est qu'après la guerre, en 1948, que la déclaration des Droits de l'homme signée à Paris exprime l'idée que toute personne a droit à une nationalité et que les Etats signataires de cette convention s'engagent à ne pas créer d'apatride.
(p. 117)
Nous marchions parmi les promeneurs dispersés, sous le même grand drap de ciel, bornant notre horizon. Il avait cette façon de parler qui était aussi bien dans les mots qu'il prononçait que dans les mots que je prononçais. Sa parole était pleine d'écoute, comme une radio ou un appareil merveilleux qui serait capable de diffuser et d'enregistrer, en même temps. (p. 145)
Notre marche ensemble donnait lieu à une conversation, et notre conversation était une façon de marcher ensemble. (p. 147)
Et lire ses livres pour y trouver, non pas sa pensée maintenant, mais sa pensée d'hier pour ma pensée de demain. p222
Parler ensemble, marcher, se retrouver au creux l'un de l'autre, c'était , dans le ciel indistinct, une seule façon d'aimer, la seule valable, celle qui j'apprenais à ses côtés sans réaliser encore que cet amour devrait se prolonger sans lui, un jour. Et que c'était même, cette façon d'être avec moi et de m'en faire ressentir l'éternité une façon de nous préparer à nous quitter. p145
Les livres et la musique ont toujours été présents dans ma vie. Ce sont des compagnons. Les murs étaient tapissés de livres, c'était comme des briques posées à la verticale, je ne connaissais pas d'autre stabilité. Mais, adossée à cette stabilité, je me sentais paradoxalement instable. p58
Le trotskysme, en réalité mouvement pluriel, contradictoire, invitait à changer de peau. Pour un intellectuel, dans les années soixante, on pouvait difficilement ne pas être engagé ou impliqué politiquement. L'air du temps était politique. Tout était politique. l'avenir, la société, l'amitié, le travail, même le plus intime, le plus secret, la convulsion amoureuse, la folie, la paranoïa : tout est affaire de conscience de classe, d'aliénation, de modes de production. (p. 26)
Mourir, non pas passivement, dépossédé, mais mourir avec une certaine rage, cette colère dont il m'avait parlé au téléphone : je veux mourir furieux. (p. 220)
Je cherche mon père dans les yeux, dans les visages de ceux qui l'aimaient et qui viennent dans son appartement. A la mort de sa soeur, il a récupéré un petit appareil-photo qu'elle avait et il s'est mis à prendre en photo toutes les personnes qu'il rencontrait. (p. 247)
Mon père a écrit sur son père, sur sa mère, il a écrit une histoire des journaux intimes. On l'a progressivement considéré comme un spécialiste de la question de l'intimité en littérature. Il a aussi consacré beaucoup d'attention à observer les implications à l'intérieur de soi d'une vie passée sous la férule d'un régime totalitaire. (p. 161)