Alexandre Page est historien et c'est avec beaucoup d'érudition mais sans lourdeur qu'il nous immerge dans la société parisienne de la deuxième moitié du XIXe siècle, plus particulièrement dans le milieu artistique, milieu corseté comme les femmes de cette époque l'étaient dans leur corps et dans leur vie sociale. En dehors de Philéas et Clémence, les deux personnages principaux fictifs, on croise de nombreuses figures bien réelles représentatives des différents courants ayant traversé le monde artistique de l'époque.
Le narrateur, jeune peintre ayant connu son heure de gloire puis une traversée du désert, rencontre la jeune et talentueuse Clémence dont les peintures de bataille géantes, se heurtant aux dogmes immuables de l'institution, sont refusées par les salons artistiques ; une femme ne peint pas la guerre, à la rigueur la nature mais pas la guerre .
Lorsque Philéas retrouve l'inspiration, il résume ainsi la situation du couple : « Je voulais peindre des arbres et des ruisseaux, on réclamait de moi des batailles et des soldats. Elle voulait peindre des batailles et des soldats, et on réclamait d'elle des arbres et des ruisseaux ». L'impasse pour nos deux tourtereaux !
Dans la détermination de Clémence, il y a du
Berthe Morisot (1841-1895), du
Rosa Bonheur (1822-1899) – Rosa qui, en 1857, avait dû demander une autorisation à la Préfecture de police pour pourvoir porter des pantalons, l'apanage des hommes - et bien d'autres encore qui ont dû livrer bataille pour sortir de leur effacement sur le plan artistique et de leur relégation à la fonction reproductrice.
Cependant, il faut bien vivre et l'auteur, parmi d'autres questions, soulève celle-ci : l'artiste doit il être un camélon, capable de se fondre dans le moule de la main nourricière du commanditaire ? A quel prix ? Jusqu'où vendre son âme ?
Ce sont tous ces défis que Philéas et Clémence vont devoir relever au fil des 350 pages d'
Une vie d'artistes, entre le vertige de la gloire et la perte de soi. Un combat qui, d'une certaine manière, se poursuit encore aujourd'hui mais, fort heureusement, dans une moindre mesure.
Au final,
Une vie d'artistes est agréable et facile à lire, on se dit qu'on aurait sans doute mieux retenu nos cours d'histoire s'ils avaient été un poil romancés, et pourtant il manque quelque chose, un je-ne-sais quoi, peut-être une dimension dramatique qui boosterait l'histoire, comme les épices relèvent un plat.