Becoming Kim Jong Un

+++++++ (COMMENT) DEVENIR KIM JONG UN +++++++

L'énigmatique dictateur nord-coréen n'est, malgré sa coiffure particulière, sûrement pas le chef d'État du moment le plus séduisant du globe, mais personne ne peut lui refuser un réel sens d'humour et certainement pas son homologue des États-Unis. D'après l'ex-chef de sécurité de Trump, John Bolton, celui-ci n'avait lors des rencontres au sommet même pas compris que Kim Jong-un se payait la fiole du Donald !

D'après maints experts c'est de loin la meilleure biographie publiée sur cet étrange personnage et bien que sorti seulement fin avril dernier, il y a déjà plusieurs traductions.
Une version française suivra assurément aussi.

L'auteure, Jung H. Pak, elle-même d'origine coréenne, est incontestablement la spécialiste la plus réputée du régime de Pyongyang et de la famille Kim, depuis le fondateur, Kim Il-sung (1912-1994), en 1948, en passant par Kim Jong-il (1942-2011) et aujourd'hui Kim Jong-un, qui a succédé à son père comme despote à l'âge de 27 ans. Lorsque récemment il était brièvement absent pour des raisons de santé, les spéculations allaient déjà bon train que ce serait sa jeune soeur, Kim Yo-jong née en 1988, qui prendrait la relève. Ainsi, la Corée du Nord aurait à la tête un personnage plus charmant, mais paraît-il encore plus terrible que son frère !

Dans la traduction française du titre j'ai ajouté entre parenthèses le mot 'comment', car c'est bien la question que l'auteure s'est posée : comment ce jeune homme s'est-il débrouillé pour s'imposer à la clique des vieux amis de son père comme maître unique et comment se fait-il que du leader d'une puissance nucléaire et un risque pour la sécurité mondiale si peu soit connu ?

L'avènement de Kim Jong-un coïncide d'ailleurs avec le début de la carrière de Mme Pak à la CIA. La disparition du père, avec qui un certain modus vivendi de fait avait existé, inquiétait sérieusement Washington et Jung H. Pak devenait très vite la conseillère du ministère des Affaires étrangères et de la Maison-Blanche pour ce pays à la frontière de la Chine et de la Russie, 4 fois le territoire de la Belgique, avec une population de 25,3 millions d'habitants, ou à peu près la moitié de la Corée du Sud.

Le système opaque du régime, l'isolation auto-imposée et poussée, des pratiques de contre-espionnage "robustes" et la culture de peur et de paranoïa font que la Corée du Nord ressemble à un gigantesque puzzle, où l'absence d'une vue d'ensemble rend fort problématique la disposition des pièces isolées. Comment interpréter par exemple la déclaration de Kim Jong-un de début 2018 qu'il veut la paix et un accord avec la Corée du Sud, la Chine et les États-Unis ? En plus, venant d'un homme que l'auteure qualifie d'énigme.

En tant qu'historienne, Jung H. Park nous retrace le passé mouvementé de la Corée depuis le XIXe siècle, son occupation par le Japon, la 2e guerre mondiale, la position de l'URSS et de la Chine maoïste, la Guerre de Corée 1950-1953 et la partition de la péninsule coréenne.
Elle analyse le long règne de Kim Il-sung (pratiquement un demi-siècle), le "père de la nation", mort d'un arrêt de coeur en juillet 1994, lorsque son petit-fils avait 10 ans, la centralisation et consolidation du pouvoir, l'élimination de toute opposition, le culte de la personnalité et l'équipement militaire massif du pays, ou plutôt son suréquipement y compris atomique.

Une politique qui a continué sous son successeur avec un vaste programme nucléaire en dépit d'une famine qui entre 1995 et 1998 à fait au minimum 600.000 morts. Pour les Kim, la possession d'armes nucléaires est l'unique moyen pour éviter l'absorption par une Corée du Sud économiquement florissante.

Kim Jong-un, après des études secondaires à Berne, s'est inscrit à l'académie militaire à Pyongyang, d'où il est sorti à 22 ans avec le rang de général 4 étoiles.
Les premières années de sa présidence ont été marqué par la poursuite de son programme nucléaire et des déclarations agressives et belliqueuses surtout à l'adresse de Séoul et de Washington. le but en était apparemment d'affirmer en Corée même son autorité de chef incontesté et pas une confrontation armée avec les États-Unis. Comme le remarque Mme Pak : "Kim est rationnel, pas suicidaire" (page 83).

En fait, l'autocrate de Pyongyang est manifestement moins bête qu'il n'en a l'air. En faisant ses expériences nucléaires et créant ainsi une tension diplomatique, il obtient des concessions et services (fourniture de pétrole par exemple à tarif réduit). Kim est persuadé que sans son arsenal atomique, il risque de finir comme Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi.

Mme Pak couvre également la situation familiale des Kim, dont certains épisodes dramatiques évoquent un dénommé William Shakespeare et que je me garde bien de vous dévoiler ici. Tout comme je vous laisse découvrir les rencontres entre Trump et Kim.

Jung H. Pak a rédigé un ouvrage solide et sobre sur un personnage peu connu et une nation à part et à l'écart. Il manque peut-être une note d'humour dans cette oeuvre de 341 pages avec prologue, beaucoup de notes et 8 pages de photos.