Il serra Agnès contre lui et disparut dans la nuit qui tombait, petite silhouette courbée traînant toute la misère du monde.
Le printemps éclatait. Les haies devenaient des bouquets sur lesquels s'ébattaient merles et mésanges.
Elles chuchotaient seulement, se demandant comment elles pourraient ravitailler le maquisard au nez et à la barbe du village. Les femmes, c’était bien connu, étaient curieuses de nature, mais, depuis la guerre, cette curiosité s’était exacerbée. Tout le monde surveillait tout le monde et certains n’hésiteraient pas, pour toucher quelques sous, à dénoncer leurs voisins
Agnès avait compris que son cousin cachait un secret et, sans rien savoir, devinait qu’il souffrait comme elle souffrait de l’absence de celui qu’elle aimait…
Ils ne parlaient pas, ils avançaient vers les champs, vers la liberté.
Quand sa bronchite était revenue, il avait tout de suite su que, cette fois, c’est elle qui aurait le dernier mot ; aussi, il avait voulu connaître cet enfant qu’il avait abandonné à sa belle-sœur. Il avait réuni ses trois enfants autour de lui et cela avait été la plus grande joie de sa vie : tout était en ordre, il pouvait partir.
Les trois femmes, avec leurs motivations différentes, priaient avec la même ferveur. Marie croyait déjà serrer son fils sur son cœur ; Agnès se repentait de sa faute et priait pour revoir son Espagnol ; quant à Solange, elle vivait cette fin de guerre comme dans un rêve : après avoir longtemps, et avec impatience, attendu le retour de son mari, elle en venait presque à douter de sa libération prochaine. Elle en était malheureuse, mais ne pouvait se défendre d’une appréhension qui la paralysait quand elle pensait au retour de Jules.
Demeurée veuve très jeune, son mari Louis était mort à la guerre de 14, elle avait élevé Jules seule, travaillant d’arrache-pied pour maintenir la ferme en état de marche pour son fils.