L'éveil

" Ne me laisse pas seule avec mon imagination. "

- Je m'en fous, de tout, je m'en fous. Et puis je n'en ai pas besoin de ce corps à corps dédié, de ce contrat, avec sa servitude stupide et bornée... Et de voir deux êtres tomber l'un en l'autre et s'y bloquer. C'est ça, moi, qui me dégoûte, ces gens qui aiment une autre personne, exclusivement, au point d'en être pleins, à ras bord. On ne peut plus rien faire de ces gens-là, ils sont remplis, ils sont finis.

« Je dois y retourner, c’est insupportable de le savoir ici, lui qui marche et vit non loin. Non, il ne s’agit pas encore de l’éveil, du vrai, c’est mon attention seule qu’il éveille pour l’instant, et c’est en dessous, plus loin, que nous allons éclore et tomber et rouler. Je suis à l’orée de l’éveil. »

Je passe des journées entières au bord de la piscine, tournicotant mon doigt dans l’eau, lascive, molle, rêveuse. J’écoute les clapotis. Il y a quelque chose en dessous de moi, à l’intérieur, quelque part, quelque chose de terriblement puissant et que j’ignore. C’est celle chose électrique qui couvait, elle est en dessous maintenant, de nous… Je dois y retourner, c’est insupportable de le savoir ici, lui qui marche détenteur de mon secret, du secret de mon corps, qui marche et qui vit non loin. Non, il ne s’agit pas encore de l’éveil, du vrai, c’est mon attention seule qu’il éveille pour l’instant, et c’est en dessous, plus loin, que nous allons éclore et tomber et rouler. Du bout des pieds, à présent, je fais des ronds dans l’eau, de moins en moins grands, qui vibrent et disparaissent. C’est quelque part, là, en dessous des orbes que forme l’eau troublée… ça m’excite, ça m’agace : je suis à l’orée de l’éveil, à l’orée de l’éveil.

J'ai cru qu'elle me pesait trop, j'ai cru qu'il y avait une liberté en dehors de Laura, un monde hors d'elle, qu'elle m'empêchait de voir. C'est faux. C'est elle qui porte le monde, à travers ses mots, à travers ses airs désabusés, c'est elle qui le rend si particulier.

Je rêve de lui, je rêve de moi. Je passe des journées entières à essayer de comprendre ce qu'il a déclenché, curieuse, je sais qu'il y a un abîme dans lequel je dois plonger, avec lui, que par lui seul je pourrais y plonger.

J'avais beau ne pas penser à l'autre, à Laura, elle était écrite sur son visage : chaque cerne, chaque nouvelle ride étaient comme des marques de Laura, des cicatrices d'elle ; et il y en avait plus tous les jours.

C'est toujours comme ça, tu vois, on n'y pense pas, on regarde les choses passivement, et soudain une image, sur un coup de tête, se déclare être la dernière.

J'aime la regarder bavarder, c'est une chose dont je suis incapable. C'est admirable ces lèvres qui bougent, murmurent, susurrent, au hasard, sans avoir peur des mots qui coulent.

J'ai tout essoré de la tristesse. Je m'en suis lassée. Elle m'a trop asséchée. A elle, je me suis donnée, entière, et elle ne m'a rien rendu. Elle m'a épuisée.