- ça s'appelle comment ton style déjà ?
- Euh....Style enfer.
- D'enfer !
- Non, ce n'est pas "style d'enfer", c'est " style enfer", tout court. Style d'enfer ça ne veut rien dire, ça se la pète, c'est tout. L'enfer, le vrai, c'est autre chose...
Connaître son âge, c'est facile. Ce qui l'est moins, c'est de savoir ce que l'on est censé faire à l'âge qu'on a.
- Où vas-tu comme ça ?
Les mots me font sursauter. Je me retourne, le type est jeune, enfin beaucoup plus vieux que moi, mais jeune quand même. Habillé tout en noir, les mains enfoncées dans les poches de son blouson en cuir. Un flic dans le rôle des flics de la télé. Je réponds :
- Porter des galettes à ma mère-grand...
Il sourit, il a saisi la vanne. [...]
- Je ne suis pas le grand méchant loup.
TOUT EST À L'ENVERS.
Je suis dans ma chambre, étalée sur le dos en travers de mon lit, un pied sur le mur, une main qui tricote la moquette. Je regarde la guitare coincée entre les accoudoirs de ma chaise de bureau.
Tout est à l'envers, comme ma tête que mon cou a du mal à retenir de tomber.
Tout est à l'envers, comme cette journée.
Je casserais bien la guitare sur le bureau, si seulement je pouvais filmer la scène, mais mon portable ne fait pas ce genre de trucs, mon portable est un dinosaure. Je suis sûre que c'est ce que mon nounours rose est en train de penser du haut de la petite étagère au-dessus du lit. Il regarde avec ses yeux tout ronds cet appareil obsolète qui se débat pour ne pas se noyer dans ma couette à hippopotames, en se demandant comment il a tenu le coup jusqu'ici.
Texto.
Je l'ignore.
- Hé, nounours rose, et moi, tu sais quel âge j'ai ? Il ne répond pas. Il doit flipper de m'entendre encore lui parler à mon âge.
C'est plutôt punk de casser une guitare. C'est punk aussi de ne pas savoir en jouer et d'en jouer quand même, surtout si à la fin du concert tu casses ta guitare, et surtout si le concert affiche complet. Je crois que je vais attendre qu'il y ait du monde dans ma chambre pour la casser parce que là, tout de suite, y a personne d'autre que moi et ma collection d'ours en peluche, et je n'ai rien pour filmer. A moins que j'aille emprunter le caméscope de maman. Mais je vois déjà ce que ça pourrait donner :
- Maman, tu me prêtes ton caméscope ?
- Pour quoi faire ?
- Pour casser ma guitare.
- Pardon ?
- Non, je veux dire pour me filmer en train de casser ma guitare.
- Ça fait des années que tu me tannes pour que je t'achète une guitare, et maintenant tu veux la casser ?
- Je fais un concert d'abord, mon premier et mon dernier, le seul, l'unique, le collector absolu.
- Désolée, la batterie est déchargée.
Les batteries sont toujours déchargées, avec elle. Je crois que je vais prendre des cours de guitare, enfin, quand cette journée sera finie ; si seulement toute cette histoire pouvait se terminer en un jour.
J’avoue, mon style est particulier, unique même, ou plutôt ultime, surprenant en tout cas, un mélange personnel fait d’emprunts aux gothiques, aux punks et aux clowns, très déstabilisant pour la plupart de mes concitoyens. J’appelle ça le « style enfer ».
La couleur dominante est le rouge, pas le noir comme on pourrait s’y attendre.
Car contrairement à beaucoup de mes camarades de lycée, la tendance au macabre ne me branche pas. Je vois l’enfer comme un lieu festif, une rave party colorée avec un son énorme. Des feux partout, qui réchauffent les âmes…
C’est parfait pour moi qui ai toujours froid. J’ai l’impression de connaître déjà ce lieu, même si je ne suis jamais morte.
C'est plutôt punk de casser une guitare. C'est punk aussi de ne pas savoir en jouer et d'en jouer quand même, surtout si à la fin du concert tu casses ta guitare, et surtout, si le concert affiche complet. Je crois que je vais attendre qu'il y ait du monde dans ma chambre pour la casser parce là, tout de suite, y a personne d'autre que moi et ma collection d'ours en peluche, et je n'ai rien pour filmer.