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Citations sur Travailler fatigue. La mort viendra et elle aura tes .. (81)

Indiscipline.

L’ivrogne laisse derrière lui les maisons stupéfaites.

C’est que n’importe qui ne se hasarde pas à se promener ivre

en plein jour, au soleil. Il traverse la rue calmement,

et pourrait s’enfiler dans les murs, car il y en a des murs.

Seuls les chiens se promènent ainsi mais un chien s’arrête

quand il sent une chienne et il la flaire avec soin.

L’ivrogne ne regarde personne, et même pas les femmes.

Dans la rue, suffoqués de le voir, les gens ne rient pas

et voudraient qu’il n’y ait pas eu d’ivrogne, mais tous ceux

qui trébuchent en le suivant des yeux, regardent à nouveau

devant eux en jurant. Quand l’ivrogne est passé,

la rue tout entière se meut plus lentement

dans la lumière du soleil. Un homme qui repart

aussi pressé qu’avant, ne pourra jamais être l’ivrogne.

Les autres regardent, sans les distinguer, les maisons et le ciel

qui sont toujours là, même si personne ne les voit.

L’ivrogne ne voit ni le ciel ni les maisons mais il les connaît

car d’un pas chancelant il parcourt un espace

aussi net que les franges de ciel. Embarrassés, les gens

se demandent à quoi servent les maisons,

et les femmes s’arrêtent de regarder les hommes.

Tous ont peur, dirait-on, que soudain la voix rauque

éclate en un chant et les suive dans l’air.

Chaque maison a sa porte mais il est inutile d’y entrer.

L’ivrogne ne chante pas, mais il suit un chemin

où il n’y a pas d’autre obstacle que l’air. Heureusement

qu’au-delà il n’y a pas la mer, car l’ivrogne

en marchant calmement, entrerait également dans la mer

et, une fois disparu, il suivrait sur le fond toujours la même route.

Et dehors la lumière serait toujours la même.

1933.
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Révolte.

Le mort est crispé contre terre et ses yeux ne voient pas les étoiles :

ses cheveux sont collés au pavé. La nuit est plus froide.

Les vivants rentrent à la maison et en tremblent encore.

On ne peut pas les suivre ; ils se dispersent tous :

l’un monte un escalier, l’autre va à la cave.

Certains marchent jusqu’à l’aube et se jettent dans un pré,

en plein soleil. Demain en travaillant, il y en a

qui auront un rictus de désespoir. Puis ça aussi passera.

Quand ils dorment, ils sont pareils aux morts : s’il y a une femme,

les odeurs sont plus lourdes mais on dirait des morts.

Chaque corps se cramponne, crispé, à son lit

comme au rouge pavé : la longue peine

qui dure depuis l’aube vaut bien une brève agonie.

Sur chaque corps s’englue une obscurité sale.

Seul de tous, le mort est étendu aux étoiles.

Il a aussi l’air mort cet amas de haillons

appuyé au muret, que brûle le soleil.

C’est faire confiance au monde que dormir dans la rue.

Entre les haillons pointe une barbe que parcourent

des mouches affairées ; les passants vont et viennent dans la rue,

comme des mouches ; le clochard est un fragment de rue.

La misère, comme une herbe, recouvre de barbe

les rictus et donne un air tranquille. Ce vieux-là

qui aurait pu mourir crispé dans son sang

a l’air au contraire d’une chose et il vit.

Ainsi, à part le sang, chaque chose est un fragment de rue.

Et pourtant, les étoiles ont vu du sang dans la rue.

1934.
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Je passerai par la place d’Espagne.

Le ciel sera limpide.

Les rues s’ouvriront

sur la colline de pins et de pierre.

Le tumulte des rues

ne changera pas cet air immobile.

Les fleurs éclaboussées

de couleurs aux fontaines

feront des clins d’oeil

comme des femmes gaies.

Escaliers et terrasses

et les hirondelles

chanteront au soleil.

Cette rue s’ouvrira,

les pierres chanteront,

le coeur en tressaillant battra,

comme l’eau des fontaines.

Ce sera cette voix

qui montera chez toi.

Les fenêtres sauront

le parfum de la pierre

et de l’air du matin.

Une porte s’ouvrira.

Les tumultes des rues

sera le tumulte du coeur

dans la lumière hagarde.

Tu seras là – immobile et limpide.

28 mars 1950.
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SIMPLICITÉ


L'homme seul - qui a été en prison - se retrouve en prison
toutes les fois qu'il mord dans un quignon de pain.
En prison il rêvait de lièvres qui détalent
sur le sol hivernal. Dans la brume d'hiver
l'homme vit entre des murs de rues, en buvant
de l'eau froide et en mordant dans un quignon de pain.

On croit qu'après la vie va renaître,
le souffle s'apaiser, et l'hiver revenir
avec l'odeur du vin dans le troquet bien chaud,
le bon feu, l'écurie, les dîners. On y croit,
tant que l'on est en taule, on y croit. Puis on sort un beau soir
et les lièvres, c'est les autres qui les ont attrapés
et qui, en rigolant, les mangent bien au chaud.
On doit les regarder à travers les carreaux.

L'homme seul ose entrer pour boire un petit verre
quand vraiment il grelotte, et il contemple son vin :
son opaque couleur et sa lourde saveur.
Il mord dans son quignon, qui avait un goût de lièvre
en prison ; maintenant, il n'a plus goût de pain
ni de rien. Et le vin lui aussi n'a que le goût de brume.

L'homme seul pense aux champs, heureux
de les savoir labourés. Dans la salle déserte
il essaye de chanter à voix basse. Il revoit
le long du talus, la touffe de ronciers dénudés
qui était verte au mois d'août. Puis il siffle sa chienne.
Et le lièvre apparaît et ils cessent d'avoir froid.

Note : ce poème de Pavese a été mis en musique par Léo Ferré. On peut le retrouver dans l’album La vie d'artiste (1961-1972), compilation sur CD sortie en 1989.
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Verrà la morte e avrà i tuoi occhi
La Mort viendra et elle aura tes yeux


La Mort viendra et elle aura tes yeux –
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu’au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remord
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin,
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. Ô chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir ressurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre, muets.


/traduction de Gilles de Van
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LAVORARE STANCA
TRAVAILLER FATIGUE


Traverser une rue pour s’enfuir de chez soi
seul un enfant le fait, mais cet homme qui erre,
tout le jour, par les rues, ce n’est plus un enfant
et il ne s’enfuit pas de chez lui.

En été, il y a certains après-midi
où les places elles-mêmes sont vides, offertes
au soleil qui est près du déclin, et cet homme qui vient
le long d’une avenue aux arbres inutiles, s’arrête.
Est-ce la peine d’être seul pour être toujours plus seul ?
On a beau y errer, les places et les rues
sont désertes. Il faudrait arrêter une femme,
lui parler, la convaincre de vivre tous les deux.

Autrement, on se parle tout seul. C’est pour ça que parfois
il y a des ivrognes nocturnes qui viennent vous aborder
et vous racontent les projets de toute une existence.
Ce n’est sans doute pas en attendant sur la place déserte
qu’on rencontre quelqu’un, mais si on erre dans les rues,
on s’arrête parfois. S’ils étaient deux,
simplement pour marcher dans les rues, le foyer serait là
où serait cette femme et ça vaudrait la peine.
La place dans la nuit redevient déserte
et cet homme qui passe ne voit pas les maisons
entre les lumières inutiles, il ne lève plus les yeux :
il sent seulement le pavé qu’ont posé d’autres hommes
aux mains dures et calleuses comme les siennes.
Ce n’est pas juste de rester sur la place déserte.
Il y a certainement dans la rue une femme
qui, si on l’en priait, donnerait volontiers un foyer.


/traduction de Gilles de Van
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“Pauvre âme fatiguée et fardée
nous qui flânons dans la cohue des rues
usés par une vie que nous ne vivons pas”
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La mort viendra et elle aura tes yeux
11 mars – 10 avril 1950


Ce n’était qu’un jeu…

Ce n’était qu’un jeu
tu le savais bien –
quelqu’un fut blessé
il y a très longtemps.

Mais rien n’a changé
le temps est pressé –
un jour tu es venue
un jour tu mourras.

Et quelqu’un est mort
il y a très longtemps –
quelqu’un qui voulait
mais ne savait pas.
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La mort viendra et elle aura tes yeux
11 mars – 10 avril 1950


Toi aussi, tu auras des gestes…

Toi aussi, tu auras des gestes.
Tu diras des mots –
visage de printemps,
toi aussi tu auras des gestes.

Les chats le sauront,
visage de printemps ;
et la pluie légère,
l’aube de jacinthe,
qui déchirent le cœur
quand on ne t’espère plus,
sont le triste sourire
que, seule, tu souris.
Il y aura d’autres jours,
d’autres voix, d’autres éveils.
Nous souffrirons dans l’aube,
visage de printemps
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La mort viendra et elle aura tes yeux
11 mars – 10 avril 1950


Il y aura d’autres jours…

Il y aura d’autres jours,
il y aura d’autres voix.
Tu souriras toute seule.
Les chats le sauront.
Et tu entendras
des mots très anciens,
des mots las et vains
comme les vieux habits
des fêtes d’hier.
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