Pour moi, la grande différence entre le cinéma et la bande dessinée est que le spectateur de cinéma est relativement passif, alors que le lecteur de bande dessinée s’investit beaucoup plus dans la construction même du sens. Si on devait faire une comparaison avec la musique, je dirais ceci : quand on regarde un film, c’est comme si on écoutait de la musique enregistrée, alors que quand on lit une bande dessinée, c’est comme si on lisait une partition.
En réduisant à l’extrême la taille de vos textes, jusqu’à imposer parfois l’usage d’une loupe, ne vous montrez-vous pas parfois trop exigeant, ou même cruel envers le public ?
Comme le sait n’importe quel dessinateur un tant soit peu sérieux, on aura beau réfléchir tant qu’on voudra à la seconde où l’on pose le crayon sur le papier, il est impossible de prédire ce qui va se passer. Le dessin, et le regard, ouvre un nouveau champ des possibles.
La bande dessinée dévore les images comme un piranha et les déchiquète en quelques secondes ; du moment qu’on les a lues, elles tombent dans l’insignifiance. C’est un des problèmes de la bande dessinée : cela demande tellement de travail de réaliser un livre, des années et des années pour créer quelque chose qui en fin de copte se résumera à une expérience d’une heure ou deux.
À propos des films et des gens qui se projettent dans des films, je crois que c’est en partie parce qu’il y a toujours eu bien plus de gens qui faisaient des films que de la bande dessinée, bien plus de gens qui se sont efforcés d’élaborer un langage émotionnel cinématographique que nous avons intégré au point de rêver sous forme de films, de montage parallèle et même parfois de rêver les scénarios débiles que beaucoup de films nous proposent. Mais dans la bande dessinée, il y a eu très peu de gens qui se sont attelés à ça. En fait, presque personne, si ce n’est Art Spiegelman ou Robert Crumb. Considérer la bande dessinée comme une forme d’expression est très récent.
Je ne suis pas un penseur bien original et je ne crois pas avoir beaucoup d’imagination. J’ai tendance à piocher des bouts par-ci par-là dans l’art en général et à les assembler en quelque sorte. Je ne suis pas un créateur original à part entière. Si je n’étais jamais tombé sur RAW, je ne crois pas que je dessinerais des bandes dessinées aujourd’hui. - Chris Ware
L’art n’est pas une méthode d’exécution ou un moyen de communication autant qu’il est une façon de penser.
Personnellement, j’ai besoin d’avoir à l’esprit, le cadre défini de la feuille, sa forme et ses délimitations, pour visualiser la composition d’une planche. J’envisage toujours la composition de la planche comme un ensemble : c’est pour moi la structure visuelle fondamentale. Si je peux zoomer et dézoomer dans le cadre comme on le fait sur un écran, alors la case prend le dessus ce qui ne correspond pas à ma vision du monde et ne m’apporte aucune satisfaction. […] Qui plus est les rares projets que j’ai réalisés uniquement au format numérique sont bien souvent illisibles aujourd’hui, parce que les formats et les codex ont changé et surtout la résolution. Le papier est plus sûr, tant qu’il n’est atteint ni par le feu, ni par l’humidité.
Si je ne cherchais pas à comprendre les autres, à faire preuve d’empathie, à les habiter, alors je serais un piètre artiste.
L’un des choses incroyables avec les bandes dessinées du XXe siècle, c’est que l’histoire naît vraiment des images.