L'aviateur faisait balancer son couteau entre le pouce et l'index. Willy-Willy ramassait du sable et le laissait couler entre ses doigts, lentement, comme on le fait immanquablement, à un moment, lorsqu'on se trouve avec du sable à portée de main.
Il avait toujours eu le goût du changement : il trouvait bon que les fils soient plus que les pères. Cette fois, il l'avait, le changement. Mais il n'avait plus la parole. Le temps coulait si lentement qu'il semblait tout à fait immobile. Là-bas, les Supérieurs s'affairaient sans doute. Ils vivaient si vite qu'on ne pouvait même pas s'en faire une idée. Pour eux, chaque instant comptait. Mais les mangeurs d'argile, dans leurs mouroirs, savaient obscurément que le temps n'avait plus d'importance. Ils n'avaient plus besoin de faire des projets. Ils étaient libre d'aller et venir. Ils étaient vides. Absolument, rigoureusement, parfaitement vides.
Ceux-ci ne comprenaient RIEN aux nouveaux. C'était à eux, maintenant, d'être différents. Ils se savaient condamnés à plus ou moins long terme à l'extinction totale, mais ils vivaient quand même, ils survivaient dans le chaos, en suivant les règles de toujours ou en essayant tant bien que mal de s'adapter... Ils survivaient sur les territoires que leur laissaient les Supérieurs. A leur guise et selon les coutumes. Les Supérieurs, en règle générale, les laissaient en paix, comme en règles générale et à quelques exceptions près les hommes intelligents avaient laissé la paix aux singes. C'était le temps de la transition entre deux espèces, l'une immobile et l'autre en marche, issues du même ancêtre poilu à quatre pattes. Issues l'une de l'autre.
Les Supérieurs sont nés de l'Homme, ce sont les autres Hommes, à un stade supérieur de l'évolution, c'est à peu près certain. Du singe et de l'Homme, un seul comprend la nature du lien qui l'unit à l'autre. De l'Homme et du Supérieur, lequel comprend ? Pas difficile à deviner.