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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Amers ressemble aux flamboyances d'un conte antique. Amers c'est un navire livré aux forces de la nature. Saint-John Perse est plus qu'un poète, c'est un marin, c'est un navigateur, il broie les flots avec ses vers.
Ici ce sont des forces telluriques qui se décuplent pour nous déployer dans un songe.
Il est possible de se laisser étonner, bousculer, désarçonner... D'ailleurs n'est-ce pas le propos de la poésie ?
Amers, c'est la mer bien sûr. Aux premières vagues qui nous assaillent, c'est une ode à l'élément marin. Mais dans l'impatience des mots se détache brusquement autre chose. Derrière le navire bousculé par les océans, c'est l'aventure humaine qui se révèle au premier plan du paysage. C'est l'amour et ses voyages éperdus.
« Amants, Ô tard venus parmi les marbres et les bronzes, dans l'allongement des premiers feux du soir,
Amants qui vous taisiez au sein des foules étrangères,
Vous témoignerez aussi ce soir en l'honneur de la Mer. »
C'est grand, c'est puissant, c'est démesuré, mais il faut se saisir alors de cette vague qui emporte tout et s'y arrimer solidement au risque de rester au bord du rivage.
Amers, c'est un chant, c'est une incantation, ce sont des choeurs qui jaillissent dans la lumière boréale. Cette poésie peut nous éblouir, elle peut nous aveugler, elle peut nous brûler. Comme l'amour et ses rivages. La poésie de Saint-John Perse, c'est le cri d'une poulie.
Il faut entrer lentement dans ce texte abrupte aux premières approches, mais qui s'offre et s'ouvre peu à peu comme une offrande, comme une promesse, comme un tangage érotique.
D'ailleurs l'amour, la mer, la mort sont des mots si proches...
« Tu es là, mon amour, et je n'ai lieu qu'en toi. J'élèverai vers toi la source de mon être, et t'ouvrirai ma nuit de femme, plus claire que ta nuit d'homme ; et la grandeur en moi d'aimer t'enseignera peut-être la grâce d'être aimé. »
Ceux qui la contemplent savent que la mer recèle dans sa houle et ses reflets d'étranges inspirations féériques.
« Toi, l'homme avide me dévêts : maître plus calme qu'à son bord le maître du navire. Et tant de toile se défait, il n'est plus femme d'agréée. S'ouvre l'Été, qui vit de mer. Et mon coeur t'ouvre femme plus fraîche que l'eau verte : semence et sève de douceur, l'acide avec le lait mêlé, le sel avec le sang très vif, et l'or et l'iode, et la saveur aussi du cuivre et son principe d'amertume - toute la mer en moi portée comme dans l'urne maternelle... »
En lisant Amers il m'est venu dans la bouche ce goût de sel sur les paupières, ce goût de désir qui gonfle sous la peau, ce goût charnel qui appelle dans les yeux le reflet et la houle de l'autre.
Amers, c'est une voix étrange que nous devons apprivoiser car elle ne nous est pas spontanément familière. Elle entre peu à peu dans les interstices de notre corps. Elle nous étreint, elle nous chavire. Elle entre en nous comme une vrille... Elle ne nous quitte plus, longtemps après avoir quitté le paysage de ce texte.
« Et comme nous courions à la promesse de nos songes, sur un très haut versant de terre rouge chargé d'offrandes et d'aumaille, et comme nous foulions la terre rouge du sacrifice, parée de pampres et d'épices, tel un front de bélier sous les crépines d'or et sous les ganses, nous avons vu monter au loin cette autre face de nos songes : la chose sainte à son étiage, la Mer, étrange, là, et qui veillait sa veille d'Étrangère - inconciliable, et singulière, et à jamais inappariée - la Mer errante prise au piège de son aberration. »
Et nous, nous sommes pris au piège de cette beauté dans la nasse des mots.
Un texte à lire à haute voix devant votre océan préféré.
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Amers 1957
Saint John Perse (1887-1975)
Lauréat du prix Nobel de littérature 1960

Ah l'énorme poète, encore un injustement un peu oublié, né à Pointe-à-Pitre en 1887. Je savais que j'allais encore en pêcher un comme ça qui mériterait aujourd'hui d'être presque réhabilité, tant son talent fut salué par Nobel, tant notre pauvre culture française institutionnelle se distingue par son absence et se saborde par une voie d'eau sous nos yeux dramatique et coupable. Bientôt on va dire que c'est Poutine qui nous empêche..

"Ainsi la mer vint-elle à nous dans son grand âge et dans ses grands plissements hernyciens -toute la mer à son affront de mer, d'un seul tenant et d'une seule tranche ! .........................
La Mer mouvante et qui chemine au glissement de ses grands muscles errants, la Mer gluante au glissement de plèvre, et toute à son affux de mer, s'en vint à nous sur ses anneaux de python noir .."

Naître à Pointe-à-Pitre en 1887 pour un fils de riche planteur, et naître on ne sait où pour un fils de rien qui sniffe de l'ether à vingt ans au pied du buste en bronze massif de Félix Eboué sur la place de la Victoire à deux pas du port que j'ai vu dans les années 1990, impuissant, me disant toujours que c'est d'une tristesse affligeante qu'un jeune homme se refuse la vie à vingt ans, alors qu'elle vient de commencer ; il ne connaîtra pas au bout peut-être d'une jeunesse malheureuse la vie à laquelle il avait droit ! Si on ne naît pas rebelle avec ça, on le devient !

Ce Pointe-à-Pitre là qui faisait fuir les américains qui se faisaient détrousser par les voyoux locaux renforcés d'haïtiens et de dominiquais quand ce n'était pas des lynchages exercés sur eux. Deux générations n'auront pas suffi à résorber le fléau qui fait tâche d'huile aujourd'hui, puisque la métropole se fout déjà pour elle.

Si, il y a quand même une histoire pour le fils de riche planteur né à Pointe-à-Pitre, même si l'homme tombe un peu dans l'oubli quand le mien est certainement mort depuis sans aucune histoire -et même si je commettais l'impudence de le formuler ainsi, il est hautement probable que le crack qui n'existait pas encore alors en Guadeloupe le rattrapât, le happât comme des milliers de jeunes antillais à la dérive qui n'avaient pas le sou, de jeunes totalement innocents dont l'issue ne fut pas hypothétique ; peut-être que Félix Eboué était né pour ceux-là.. Certainement diront certains !



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Hissez la grand voile et larguez les amarres ! la poésie de Saint-John Perse
vous emmène par-delà le roulis de ses vers en des contrées imaginaires où le réel se nourrit de mythe et d'histoire, de paysages sublimes et d'expérience humaine.
Que dire d'autre sur mon poète préféré ? Qu'il m'accompagne dans tous mes rêves et nourrit mes envies de voyage par sa simple lecture.
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Alexis Léger, dit Saint-John-Perse (1887-1975) est un poète français. Si, si. Pas des plus connus, sans doute, mais des plus mal connus à coup sûr. Il faut dire qu'il n'a pas la réputation d'un poète « facile » : comme René Char, il est d'un hermétisme qui peut a priori en décourager plus d'un et à faire fuir plus d'une (ou le contraire).
« Ils m'ont appelé l'Obscur, et mon propos était de mer ».
Avouez que, comme présentation, on a connu plus glamour.
Mais comme René Char, et par certains côtés même, mieux que René Char, il mérite notre attention : il y a chez Saint-John-Perse un rythme, une cadence, imprimées certes par une imagination puissante et évocatrice mais aussi, et peut-être surtout, par le choix d'un style poétique particulier, qui colle à merveille à son propos : Saint-John-Perse utilise le verset. Non pas par référence aux versets bibliques ou coraniques, de longueur inégales, et aux intentions incantatoires (encore que), mais plutôt parce que ce type de vers, ample et délié, permet de faire une phrase longue, bien balancée, où l'auteur peut à son gré placer ses graves et ses aigus, et imprimer le rythme qu'il souhaite :
« Et c'est un chant de mer comme il n'en fut jamais chanté, et c'est la Mer en nous qui nous le chantera :
La mer en nous portée, jusqu'à la satiété du souffle, et la péroraison du souffle,
La mer en nous, portant son bruit soyeux du large et toute sa grande fraîcheur d'aubaine par le monde ».

L'inspiration, il la cherche en lui-même, comme la plupart des poètes, au travers de sa propre expérience et en rapport avec le monde qui l'entoure. Jusque-là ce n'est pas très original. Mais il semble que Saint-John-Perse ait une connexion particulière avec les éléments, particulièrement l'eau et l'air. Son origine antillaise y est sans doute pour quelque chose (il est né en Guadeloupe), et sa carrière de diplomate qui lui a fait sillonner la Terre en bateau et en avion, a dû nourrir ce goût pour l'espace marin et l'espace aérien qui parcourt toute son oeuvre.

« Amers » est un recueil de 1957, où cet élément marin évidemment, tient la première place. le titre, à lui seul, est une énigme : « amer » est le nom qu'on donne à ces balises qui signalent aux bateaux l'entrée dans les ports. Mais il s'agit peut-être de l'adjectif qui pourrait correspondre à un état d'esprit particulier, ou encore un jeu de mots « à mer », ou même « à mère », dans la mesure où la mer est aussi la mère universelle d'où vient toute vie… le poète laisse s'épaissir le mystère autour de ce titre, et il a bien raison.

Bien sûr, il y a cet hermétisme, ces mots parfois techniques qui déstabilisent le lecteur… Mais comme le soulignait Breton, Saint-John-Perse, est un « surréaliste éloigné », ce qui lui confère sa propre logique poétique, qui consiste à éveiller la sensibilité du lecteur, en lâchant toute bride à l'imagination. Car c'est là un des atouts de Saint-John-Perse : la puissance d'évocation qui n'est pas loin de ressembler par moments, mais de façon plus maîtrisée, aux « Chants de Maldoror » De Lautréamont : comparez « Vieil océan… » avec les poèmes de ce recueil, vous y trouverez une filiation évidente.
Lisez Saint-John-Perse. Lentement, plusieurs fois, pour bien vous en imprégner, et surtout à voix haute pour bien en sentir le balancement peut-être déclamatoire, presque incantatoire, mais somme toute magique.
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J'aime les poètes voyageurs, amoureux des larges étendues et des océans. Sa poésie est imposante, un peu comme celle de Hugo, même s'il n'est jamais bon de comparer en ce domaine si subjectif. En tout cas, l'oeuvre de Saint-John Perse me fait l'effet d'un monument à gravir, difficile mais fascinant.
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Le plus beau
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Quelle poésie !!! j'ai été rebuté au départ, mais maintenant je le relis avec fascination...
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