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Citations sur L'ascension du mont Ventoux (12)

« J'aime pourtant : contre mon gré, contraint, misérable, affligé. Malheureux que je suis, j'éprouve sur moi-même la vérité du vers fameux : « Je te haïrai si je peux; sinon, je t'aimerai malgré moi. »
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Ce que j'aimais je ne l'aime plus. Je mens : j'aime, avec plus de réserve ; voilà que j'ai menti de nouveau : j'aime mais avec plus de honte, avec plus de tristesse ; enfin j'ai dit la vérité. Car c'est ainsi : j'aime, mais ce que je voudrais ne pas aimer, ce que je désirerais haïr.
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Les hommes ne se lassent pas d'admirer la cime des montagnes, l'ample mouvement des flots marins, le large cours des fleuves, l'océan qui les entoure, la course des astres; mais ils oublient de s'examiner eux-mêmes.
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J’ai fait aujourd’hui l’ascension de la plus haute montagne de cette contrée que l’on nomme avec raison le Ventoux, guidé uniquement par le désir de voir la hauteur extraordinaire du lieu. Il y avait plusieurs années que je nourrissais ce projet, car, comme vous le savez, je vis dès mon enfance dans ces parages, grâce au destin qui bouleverse les choses humaines. Cette montagne, que l’on découvre au loin de toutes parts, est presque toujours devant les yeux. Je résolus de faire enfin ce que je faisais journellement, d’autant plus que la veille, en relisant l’histoire romaine de Tite-Live, j’étais tombé par hasard sur le passage où Philippe, roi de Macédoine, celui qui fit la guerre au peuple romain, gravit le mont Hémus en Thessalie[1], du sommet duquel il avait cru, par ouï-dire, que l’on apercevait deux mers : l’Adriatique et l’Euxin. Est-ce vrai ou faux ? Je ne puis rien affirmer, parce que cette montagne est trop éloignée de notre région, et que le dissentiment des écrivains rend le fait douteux. Car, pour ne point les citer tous, le cosmographe Pomponius Méla déclare sans hésiter que c’est vrai[2] ; Tite-Live pense que cette opinion est fausse[3]. Pour moi, si l’exploration de l’Hémus m’était aussi facile que l’a été celle du Ventoux, je ne laisserais pas longtemps la question indécise. Au surplus, mettant de côté la première de ces montagnes pour en venir à la seconde, j’ai cru qu’on excuserait dans un jeune particulier ce qu’on ne blâme point dans un vieux roi.

Mais quand je songeai au choix d’un compagnon, chose étonnante ! pas un de mes amis ne parut me convenir sous tous les rapports. Tant est rare, même entre personnes qui s’aiment, le parfait accord des volontés et des caractères ! L’un était trop mou, l’autre trop actif ; celui-ci trop lent, celui-là trop vif ; tel trop triste, tel trop gai. Celui-ci était plus fou, celui-là plus sage que je ne voulais. L’un m’effrayait par son silence, l’autre par sa turbulence ; celui-ci par sa pesanteur et son embonpoint, celui-là par sa maigreur et sa faiblesse. La froide insouciance de l’un et l’ardente activité de l’autre me rebutaient. Ces inconvénients, tout fâcheux qu’ils sont, se tolèrent à la maison, car la charité supporte tout et l’amitié ne refuse aucun fardeau ; mais, en voyage, ils deviennent plus désagréables. Ainsi mon esprit difficile et avide d’un plaisir honnête pesait chaque chose en l’examinant, sans porter la moindre atteinte à l’amitié, et condamnait tout bas tout ce qu’il prévoyait pouvoir devenir une gêne pour le voyage projeté. Qu’en pensez-vous ? À la fin je me tourne vers une assistance domestique, et je fais part de mon dessein à mon frère unique, moins âgé que moi et que vous connaissez bien. Il ne pouvait rien entendre de plus agréable, et il me remercia de voir en lui un ami en même temps qu’un frère.

Au jour fixé, nous quittâmes la maison, et nous arrivâmes le soir à Malaucène, lieu situé au pied de la montagne, du côté du nord. Nous y restâmes une journée, et aujourd’hui enfin nous fîmes l’ascension avec nos deux domestiques, non sans de grandes difficultés, car cette montagne est une masse de terre rocheuse taillée à pic et presque inaccessible. Mais le poète a dit avec raison : Un labeur opiniâtre vient à bout de tout[4]. La longueur du jour, la douceur de l’air, la vigueur de l’âme, la force et la dextérité du corps, et d’autres circonstances nous favorisaient. Notre seul obstacle était dans la nature des lieux. Nous trouvâmes dans les gorges de la montagne un pâtre d’un âge avancé qui s’efforça par beaucoup de paroles de nous détourner de cette ascension. Il nous dit que cinquante ans auparavant, animé de la même ardeur juvénile, il avait monté jusqu’au sommet, mais qu’il n’avait rapporté de là que repentir et fatigue, ayant eu le corps et les vêtements déchirés par les pierres et les ronces. Il ajoutait que jamais, ni avant ni depuis, on n’avait ouï dire que personne eût osé en faire autant. Pendant qu’il prononçait ces mots d’une voix forte, comme les jeunes gens sont sourds aux conseils qu’on leur donne, sa défense redoublait notre envie. Voyant donc que ses efforts étaient vains, le vieillard fit quelques pas et nous montra du doigt un sentier ardu à travers les rochers, en nous faisant mille recommandations qu’il répéta encore derrière nous quand nous nous éloignâmes.

Après avoir laissé entre ses mains les vêtements et autres objets qui nous embarrassaient, nous nous équipâmes uniquement pour opérer l’ascension, et nous montâmes lestement. Mais, comme il arrive toujours, ce grand effort fut suivi d’une prompte fatigue. Nous nous arrêtâmes donc non loin de là sur un rocher. Nous nous remîmes ensuite en marche, mais plus lentement ; moi surtout je m’acheminai d’un pas plus modéré. Mon frère, par une voie plus courte, tendait vers le haut de la montagne ; moi, plus mou, je me dirigeais vers le bas, et comme il me rappelait et me désignait une route plus directe, je lui répondis que j’espérais trouver d’un autre côté un passage plus facile, et que je ne craignais point un chemin plus long, mais plus commode. Je couvrais ma mollesse de cette excuse, et pendant que les autres occupaient déjà les hauteurs, j’errais dans la vallée sans découvrir un accès plus doux, mais ayant allongé ma route et doublé inutilement ma peine. Déjà accablé de lassitude, je regrettais d’avoir fait fausse route, et je résolus tout de bon de gagner le sommet. Lorsque, plein de fatigue et d’anxiété, j’eus rejoint mon frère, qui m’attendait et s’était reposé en restant longtemps assis, nous marchâmes quelque temps d’un pas égal. À peine avions-nous quitté cette colline, voilà qu’oubliant mon premier détour, je m’enfonce derechef vers le bas de la montagne ; je parcours une seconde fois la vallée, et, en cherchant une route longue et facile, je tombe dans une longue difficulté. Je différais la peine de monter ; mais le génie de l’homme ne supprime pas la nature des choses, et il est impossible qu’un corps parvienne en haut en descendant. Bref, cela m’arriva trois ou quatre fois en quelques heures à mon grand mécontentement, et non sans faire rire mon frère. Après avoir été si souvent déçu, je m’assis au fond d’une vallée.

Là, sautant par une pensée rapide des choses matérielles aux choses immatérielles, je m’apostrophais moi-même en ces termes ou à peu près : « Ce que tu as éprouvé tant de fois dans l’ascension de cette montagne, sache que cela arrive à toi et à beaucoup de ceux qui marchent vers la vie bienheureuse ; mais on ne s’en aperçoit pas aussi aisément, parce que les mouvements du corps sont manifestes, tandis que ceux de l’âme sont invisibles et cachés. La vie que nous appelons bienheureuse est située dans un lieu élevé ; un chemin étroit, dit-on, y conduit. Plusieurs collines se dressent aussi dans l’intervalle, et il faut marcher de vertu en vertu par de glorieux degrés. Au sommet est la fin de tout et le terme de la route qui est le but de notre voyage. Nous voulons tous y parvenir ; mais, comme dit Ovide : C’est peu de vouloir ; pour posséder une chose, il faut la désirer vivement[5]. Pour toi assurément, à moins que tu ne te trompes en cela comme en beaucoup de choses, non seulement tu veux, mais tu désires. Qu’est-ce qui te retient donc ? Rien autre à coup sûr que la route plus unie et, comme elle semble au premier aspect, plus facile des voluptés terrestres et infimes. Mais quand tu te seras longtemps égaré, il te faudra ou gravir, sous le poids d’une fatigue différée mal à propos, vers la cime de la vie bienheureuse, ou tomber lâchement dans le bas-fond de tes péchés ; et si (m’en préserve le Ciel !) les ténèbres et l’ombre de la mort te trouvent là, tu passeras une nuit éternelle dans des tourments sans fin. » On ne saurait croire combien cette pensée redonna du courage à mon âme et à mon corps pour ce qu’il me restait à faire. Et plût à Dieu que j’accomplisse avec mon âme le voyage après lequel je soupire jour et nuit, en triomphant enfin de toutes les difficultés, comme j’ai fait aujourd’hui pour ce voyage pédestre ! Je ne sais si ce que l’on peut faire par l’âme agile et immortelle, sans bouger de place et en un clin d’œil, n’est pas beaucoup plus facile que ce qu’il faut opérer pendant un laps de temps, à l’aide d’un corps mortel et périssable, et sous le pesant fardeau des membres.

Le pic le plus élevé est nommé par les paysans le Fils ; j’ignore pourquoi, à moins que ce ne soit par antiphrase, comme cela arrive quelquefois, car il paraît véritablement le père de toutes les montagnes voisines. Au sommet de ce pic est un petit plateau. Nous nous y reposâmes enfin de nos fatigues. Et puisque vous avez écouté les réflexions qui ont assailli mon âme pendant que je gravissais la montagne, écoutez encore le reste, mon père, et accordez, je vous prie, une heure de votre temps à la lecture des actes d’une de mes journées. Tout d’abord frappé du souffle inaccoutumé de l’air et de la vaste étendue du spectacle, je restai immobile de stupeur. Je regarde ; les nuages étaient sous mes pieds. L’Athos et l’Olympe[6] me sont devenus moins incroyables depuis que j’ai vu sur une montagne de moindre réputation ce que j’avais lu et appris d’eux. Je dirige ensuite mes regards vers la partie de l’Italie où mon cœur incline le plus. Les Alpes debout et couvertes de neige, à travers lesquelles le cruel ennemi du nom romain[7] se fraya jadis un passage en perçant les rochers avec du vinaigre, si l’on en croit la renommée, me parurent tout près de moi quoiqu’elles fussent à une grande distance. J’ai soupiré, je l’avoue, devant le ciel de l’Italie qui apparaissait à mon imagination plus qu’à mes regards, et je fus pris d’un désir inexprimable de revoir et mon ami et ma patrie. Ce ne fut pas toutefois sans que je blâmasse la mollesse du sentiment peu viril qu’attestait ce double vœu, quoique je pusse invoquer une double excuse appuyée du témoignage de grandes autorités.
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Je méditais en silence l'inanité du jugement des hommes, qui négligent la meilleure part et se dispersent aux quatre vents, cherchant dans de vains spectacles ce qu'ils pourraient trouver en eux-mêmes.
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Je te haïrai si je peux; sinon, je t'aimerai malgré moi.
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Ayant amplement satisfait mon désir de contempler ce mont, je portai mon regard à l'intérieur de moi-même, et de ce moment-là plus personne ne m'entendit parler jusqu'au moment où nous fûmes parvenus en bas [...].
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Comme il arrive souvent, à l'effort violent succède bien vite l'épuisement.
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L'âme des jeunes gens est sourde aux avertissements.
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La nature n'a que faire des ruses de l'homme, et un corps matériel n'a jamais pu s'élever en descendant.
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