Elle constate qu'elle vient de penser « était », à l'imparfait, et elle tressaille violemment. Sylvie, Sylvie... c'est épouvantable ! Des choses qu'on lit dans les journaux, à la rubrique des faits divers, d'un œil distrait, parce qu'elles sont lointaines, impersonnelles, anonymes. Il n'arrive qu'aux autres, l'accident ! Et puis brusquement... Cet enfant qui jouait à la balle, cette balle qui roulait dans la rue, cette voiture...
Sylvie qui riait toujours, qui était la joie, la vie, le bonheur... Sylvie défigurée, brisée, qui va peut-être mourir...
Je suis moi-même interne à l'Hôpital Universitaire de Gand. Permettez-moi de vous parler en toute franchise: c'est grave. Impossible d'émettre sur place un diagnostic précis, mais ce saignement de nez peut signifier une fracture du crâne. De même, d'autres fractures sont à craindre. Primo : fracture de la mâchoire, c'est quasi certain. Secundo : lésion possible de la colonne vertébrale, du bassin, du thorax. Mais ce, qui ici m'inquiète le plus, c'est la menace de choc.
Elle était vide, creuse, sans espoir ni impatience. Au bord de la fatalité, elle attendait que le destin fasse connaître sa décision. Elle ne pensait à rien, sinon parfois que. Sylvie était morte ; et alors un tumulte soudain se levait en elle. Puis Sylvie recommençait à gémir et le tumulte s'apaisait. Elle était vide, et ce vide silencieux l'effrayait. Elle essaya de fixer son esprit.
Il n'y a rien à dire, les mots sont inutiles. Les mots sont dangereux. Ils font naître des images. Ils font peur. Il n'est pas temps d'avoir peur.
A-t-on jamais le droit d'imaginer que quelqu'un, plutôt que d'être malheureux sur terre, devrait mourir ? Et Philippe? Et Eric et Virginie'? Le bon Dieu, oui, même si nous ne comprenons pas, même si nous nous révoltons devant les apparences, le bon Dieu sait ce qu'il fait...