Thomas vit seul dans le manoir surplombant Kingdom Come, une petite ville de Louisiane cernée par des marais peuplés d'alligators faméliques. Enfin... « Seul », c'est un bien grand mot, puisque Thomas partage sa chambre à coucher avec ses trois frères, Cole, Jorah et Sébastien, triplets-siamois reliés ensemble par le même os frontal et partageant un seul et gigantesque cerveau. Autant dire que, bien que Thomas soit le seul entrepreneur de la ville et son principal citoyen, les visiteurs ne sont pas fréquents au manoir et que les jolies conquêtes de Thomas ramassées dans des bars miteux ou sur le bord de la route ne s'attardent guère.
D'autant plus que le coin est riche en monstruosités et fantômes de toutes sortes. Outre les terrifiants frères de Thomas, il y a l'enfant mort qui vient parfois frapper à la fenêtre de leur salle à manger, le spectre de leur père suicidé qui rôde dans les marécages, l'ombre de leur mère disparue dans d'étranges circonstances et la soeur de Thomas qui n'est jamais venue au monde mais dont le visage est resté imprimé sur les côtes de son frère jumeau, semblable à une iconographie. Ces spectres sont-ils réels ou fantasmagoriques ? Impossible de le savoir. Mais ce qui semble certain, c'est qu'une tempête ne va pas tarder à souffler sur Kingdom Come et pas n'importe quelle tempête, attention : une tempête d'âmes ! Et si l'on se fie aux dires des vieilles sorcières vaudou de la ville, Thomas seul sera en mesure de l'arrêter. Encore faudrait-il qu'il le veuille bien…
Acheté sur un coup de tête car le titre – «
Un choeur d'enfants maudits » – avait piqué ma curiosité, ce roman mi-fantastique, mi-réaliste a été une fascinante surprise, doublé d'un coup de foudre immédiat. Très atypique dans sa forme comme dans son fond, il entremêle sans cesse rêves, hallucinations et réalité, les rendant si indissociables les uns des autres que la trame de l'intrigue s'avère parfois ardue à suivre. Et pourtant j'ai aimé. Beaucoup. Enormément. Car de cette ambiguïté même nait une atmosphère moite, troublante et surréaliste qui aspire le lecteur comme les sables mouvants d'un marais. Une fois le pied pris dans la boue, impossible de s'en dégager, chaque pas ne faisant que nous enfoncer plus profondément et plus intimement dans les méandres hypnotiques du récit. Cette ambiance est grandement renforcée par le style de l'auteur : superbe et mêlant talentueusement lyrisme et descriptions si crues qu'elles en sont presque horrifiques. Une fort belle lecture dont on ressort ravi, quoiqu'un peu tourneboulé. Je recommande chaudement !