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Critique de hcdahlem


Qui s'occupe de mon corps ?

Mazarine Pingeot s'est emparée d'un fait divers, la captation à l'insu des clientes de leurs séances de massage et la vente des enregistrements, pour évoquer ses sujets de prédilection, le rapport au corps, le machisme ambiant et le statut de la femme dans notre société. Un roman qui frappe fort et sonne juste!

Souheila peut être satisfaite de sa vie. Elle a réussi à sortir de sa banlieue. Après avoir enseigné à Nevers, elle a réussi à se faire muter à Paris et à s'installer dans l'appartement parisien de Rémi. Un compagnon agréable et attentionné. Qui a même noté que depuis quelques temps elle avait l'air un peu triste. La raison de ce vague à l'âme est à chercher dans la routine qui s'est installée au fil des jours et ne lui offre guère de liberté. A tout prendre, sa vie était plus exaltante quand ils se voyaient le week-end, entre Nevers et Paris. «Nous pouvions profiter l'un de l'autre les fins de semaine et, de fait, c'était comme si nous n'avions partagé que des vacances ensemble: marché le samedi, promenade le long du canal Saint-Martin, expo parfois, cinéma, restaurant ou dîner à la maison après avoir préparé minutieusement et ensemble un poisson coûteux, faire l'amour. Tel était le programme: enviable.»
Désormais, il lui fallait se battre pour trouver des plages de solitude, des instants de liberté.
Après un dîner entre amis et une discussion sur l'utilité ou non d'une psychanalyse, elle s'amuse à lister ce qu'elle pourrait faire avec l'argent des séances. C'est peut-être le prix du massage – 50 euros – qui l'a décidée à accepter de confier son corps à une asiatique pour un massage à l'huile. Et de souscrire dans la foulée un abonnement pour dix séances. Chaque semaine, ce soin fait du bien à son corps et à sa tête. Un petit jardin secret qui va voler en éclat le jour où la police la convoque pour lui expliquer qu'elle est victime d'un trafic. Les propriétaires du salon filmaient les séances de massage et vendaient les enregistrements à des clients pervers.
Aux côtés de l'enquêteur, elle doit visionner le film et confirmer sa présence. «Certes, il ne m'était pas agréable de m'être fait blouser. Mais cet instant de trouble que j'avais éprouvé assise à côté du policier, épaule contre épaule, à regarder ensemble mon corps de dos, mes fesses et mes bras abandonnés continuait de m'habiter et de me mettre dans un état second.»
Alors dans ce cas, est-il légitime de porter plainte? Après tout, elle ne s'est pas vraiment sentie victime. Qu'en penserait Rémi? Et les autres femmes qui fréquentaient le salon de massage?
La seconde partie du roman va chercher les réponses à ces questions, va confronter Souheila a d'autres points de vue. Et l'obliger à chercher sa propre vérité.
La confrontation avec les autres clientes filmées durant leurs séances de massage et la création d'un collectif de victimes est une partie passionnante de ce roman, car elle permet de découvrir qu'il y a bien des manières d'aborder cette affaire et qu'il n'y a pas en la matière une vérité qui s'imposerait à toutes et à tous. Les unes sont féministes, radicales, les autres plus mesurées. En fonction de sa vie, de son passé, des circonvolutions de son histoire familiale, un même événement peut être perçu avec une tout autre sensibilité. Souheila ira même jusqu'à se rapprocher du mari de l'une des plaignantes, psychanalyste et observateur discret de ce gynécée. Une manière aussi d'affirmer son indépendance, de laisser libre voie à ses désirs.
C'est en creusant vers ses racines au Maroc que Souheila trouvera finalement une forme d'apaisement.
C'est la finesse d'analyse et l'absence de manichéisme qui fait la richesse de ce roman. Et si pour Souheila ce scandale marque certes un point de bascule, il ouvre aussi quelques perspectives, dont certaines vous surprendront. Avec ce nouvel opus qui s'inscrit dans la droite ligne de Se taire, Mazarine Pingeot réactualise l'antienne un corps sain dans un esprit sain.
À l'instar de Maria Pourchet avec Western, elle fait souffler un vent de liberté iconoclaste sur la France post #metoo.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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