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Citations sur Journal : Premiers cahiers 1954-1960 (6)

Quand bien même je parviendrais à définir la poésie ( aspiration stupide, par ailleurs ), quand bien même je découvrirais son essence, quand bien même je dévoilerais son origine la plus profonde, quand bien même je connaîtrais la poésie tout entière et tous les poètes comme mon propre nom, l'instant venu d'écrire un poème, je ne suis plus qu'une humble jeune femme nue qui attend que l'Autre lui dicte des mots beaux et pleins de sens, avec un pouvoir suffisant pour hisser ses pauvres tribulations et donner de la valeur à ce qui autrement ne serait que divagations.
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J'ai offert à D. mon beau petit poudrier de Paris. C'est le plus beau bijou que j'ai jamais eu. D. ne voulait pas l'accepter. J'ai insisté. Je ne regrette pas. Faire un vrai cadeau, c'est offrir ce que nous aimons le plus.
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Mercredi 30 avril 1958



     Aujourd’hui, j’ai lu toute la journée. Quelques poèmes de Cernuda ont flatté ma tristesse. C’est étrange, la poésie. Cela me surprend chaque jour un peu plus. Et ce n’est pas que je voudrais l’interpréter ou la délimiter, non, je me sens bien dans mon étonnement face à elle. Ma difficulté réside dans le fait de reconnaître comme « poèmes » une quantité d’œuvres auxquelles on donne ce nom. Même Cernuda, qui commence plutôt à me plaire, suscite en moi des doutes. Dans Les nuages, le livre que je suis en train de lire, il semblerait que le poétique ne soit pas un saut du dedans vers le dehors, mais l’inverse. Par exemple, le poète regarde la lune, il la voit comme éternelle dans sa « beauté virginale », et il la décrit dans le poème comme l’observatrice immortelle sous le regard de laquelle les hommes naissent et meurent. (Quelques images font appel à l’histoire.) Maintenant très bien : tout cela, c’est du travail extérieur. Je sais que j’ai tort, mais je préfère que chacun écrive sur sa propre lune, sur sa nuit. Ou qu’il rentre à l’intérieur de la lune. (Trakl, Rilke.) En fin de compte : qu’on ne décrive pas la réalité visible sans l’avoir transformée avant, ou remplacée, ou se passer d’elle.


/traduction et postface de Clément Bondu
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Samedi 1er février 1958



     La poésie n’est pas un artisanat et n’a rien à voir avec ça. Mais pour transcender le langage, je dois d’abord le faire mien. En réalité, c’est un peu stupide de parler de poésie : soit on en écrit, soit on en lit. Le reste n’a pas d’importance. Même si je voudrais bien posséder quelques petites vérités littéraires, je me sentirais plus sûre de moi si j’en possédais. Pour commencer, voici une énigme : pourquoi est-ce que j’aime lire la poésie lumineuse, claire, mais exècre presque l’obscure, l’hermétique, quand je participe moi – dans ma besogne poétique – des deux ? Et si c’était parce que je ne fais pas l’effort de comprendre les textes obscurs ? Cela donnerait l’explication exacte à cette manie de me lier à des gens dont les processus intérieurs sont plus simples que les miens. Ou du moins, à ce qu’il me semble. Mais, Alejandra, dans le fond des fonds, qu’est-ce qui est clair et qu’est-ce qui est obscur ?


/traduction et postface de Clément Bondu
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Dimanche 24 novembre 1957



     Découragée par ma poésie. Des avortements, rien d’autre. Maintenant je sais que chaque poème doit venir d’un scandale absolu dans le sang. On ne peut pas écrire avec l’imagination seule, ni avec l’intellect seul ; il faut que le sexe et l’enfance et le cœur et les grandes peurs et les idées et la soif et la peur à nouveau travaillent à l’unisson quand je me penche sur la page, quand je me dépeins sur le papier et essaye de nommer et de me nommer. À part ça, je n’oublie pas ce qui a trait au langage, à l’expression, etc., domaines dans lesquels je me sens une parfaite intruse.


/traduction et postface de Clément Bondu
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"Nous cherchons partout l'inconditionné et ne trouvons jamais que des choses." NOVALIS

*

Y a-t-il quelque part plus de poésie que dans le visage de l'être aimé ?

*

L'homme le plus humble marche, et il semble être le roi de l'univers. La femme la plus appréciée marche, et elle ressemble à un objet dont on se sert le dimanche. En plus, il y a des lois quant à la vitesse du pas. Si moi je marche lentement, en regardant les sculptures sur les vieilles maisons (chose que j'ai apprise à regarder), ou le ciel, ou les visages de ceux qui passent près de moi, je sens que je porte atteinte à quelque chose. On me suit, on me parle, ou bien on me regarde avec étonnement et reproche. Oui. La femme doit marcher avec empressement, pour indiquer que sa marche a un but. Sinon, c'est une prostituée (ce qui est aussi un "but"), ou une folle, ou une extravagante. S'il se passe quelque chose, un attroupement ou un accident, et que je me rapproche, je constate qu'il n'y a pas une seule femme. Des hommes. Rien que des hommes. L'angoisse me monte. Je sens un vide épais, et une grande vague d'euphorie sexuelle. Voilà ce qui m'humilie. Je ne veux pas avoir de désirs. Ils sont de plus en plus forts. Ils dépassent ma fatigue.

*

Je ne comprends pas l'attrait pour le "fantastique", ni pour la littérature de "mystère". C'est que : est-il possible de trouver plus de mystère que dans l'existence même ?

Qu'y a-t-il dans les voyages pour qu'ils donnent tant de joie ? Même le voyage le plus court suggère quelque chose comme un renouvellement, ou une mort.

*

J'ai vu la mer, une mer qui ne se fatigue pas elle-même, une mer qui ne se lasse jamais de retourner toujours à elle-même.

*

"Je crois que quand les gens se lasseront du confort, des réfrigérateurs, des automobiles, de tout ce qui est fonctionnel, des machines, du luxe, etc., ils reviendront à la vie de l'esprit, ils reviendront à l'émotion et au plaisir de lire un beau poème, d'écouter une belle chanson… Du moins, c'est ce que je crois, moi, en dépit ce que disent les journaux."
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