Le génie des moussons

L'écriture fluide de ce roman débute par l'évocation de la grisaille misérable de la banlieue parisienne d'après-guerre, puis nous immerge aussitôt dans l'ambiance exotique foisonnante des dernières années de l'Indochine française. le contraste est remarquable.
On suit avec enthousiasme des personnages attachants, surpris par leur propre destin et leur courage dans une civilisation en décomposition, hanté par la présence permanente des dangers de la guérilla. À ce propos, la critique du colonialisme aurait sans doute mérité un approfondissement. Si ce n'est pas un roman sur la guerre, les combats du peuple vietnamien pour l'indépendance restent trop en arrière-plan, à mon avis. On y voit bien une administration confite dans la corruption, mais l'idéologie pour la chasser reste effleurée.
Toutefois, les aventures des deux protagonistes décrites par un auteur imaginatif dans des décors saisissants, où se rencontrent des seconds rôles truculents ou inquiétants, tiennent en haleine le lecteur. Enfin une histoire d'amour crédible, sans pathos, où le courage de l'une vaincra les appréhensions de l'autre, émeut par sa sincérité.
L'Indochine revit devant nos yeux : fumerie d'opium interlope, trafiquants chinois à l'honorabilité factice de notables de Saïgon, engloutissante forêt tropicale grouillante de bandes dépourvues d'humanité, repaires et trésors cachés de la mer de Chine et pour finir une mousson diluvienne dans laquelle on aurait aimé être immergé, car un bon génie y a été prié !
Cette reconstitution documentée sort de l'oubli un univers colonial asiatique disparu, une découverte envoûtante.