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Citations sur Wagner, histoire d'un artiste (9)

Aussi maintenant que la comtesse [Marie d’Agoult] rebelle et repentie expirait à Paris, dans sa famille légitime, la seule fille [Cosima] qui lui restât de ses libres amours ne pouvait-elle éprouver qu’une mélancolie passagère. Les forces qu’elle avait en réserve pour souffrir appartenaient à Wagner. Lui seul comptait pour elle, et l’heure approchait sans doute où il faudrait voir s’abîmer dans la mort le navigateur sans patrie. Il ne demeurerait de lui que son œuvre, sa gloire. Mais était-ce cela qu’elle aimait ? Non, ce qu’elle aimait, c’était cet homme assis sur la scène devant son âme déchaînée, dirigeant la longue bataille de ses passions ; cet artiste blanchi, ravagé, avec sa tête de vieux maître de la Renaissance, cet Adam court et formidable qui croyait en l’amour, en la douleur, en la pitié, en la poésie, ces abstractions qui font sourire les hommes, mais remueront longtemps encore les entrailles féminines.
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Wagner et Nietzsche sont en face l’un de l’autre comme les habitants de deux planètes différentes qui se seraient découverts au télescope, auraient trouvé le moyen de se rejoindre pour se complimenter de leurs travaux et ne sauraient point que l’un des deux doit périr de la science de l’autre. Et ils sont en même temps comme un père et son fils, assujettis à des hérédités communes et remplis de cette pudique timidité familiale qui fait qu’ils se dévouent l’un à l’autre, se déjouent, se combattent et s’entraident sans apercevoir qu’ils se devinent trop pour accepter jamais de se comprendre.
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Un jour que [son hôtesse] lui parle de l’avenir, [Wagner] dit avec agitation, en arpentant la chambre : « L’avenir ? Mais qui donc pourrait monter l’œuvre d’art que je suis seul – avec l’aide de mes démons – à pouvoir représenter ? Je ne suis pas fait comme les autres. J’ai des nerfs irritables. Il me faut de la beauté, de l’éclat, de la lumière. Le monde me doit ce dont j’ai besoin. Il m’est impossible de vivre d’un malheureux traitement d’organiste, comme votre maître Bach. Est-ce donc une folle exigence que prétendre à ces miettes de luxe dont j’ai envie, moi qui prépare à tant de milliers d’êtres de si fortes jouissances ? »
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En composant le premier acte de Tristan, Wagner s’était abandonné à la fougue d’une espérance qui colorait tout son avenir. En composant le second, dans la solitude de Venise, il a soudain compris l’inanité de son ambition amoureuse. Alors, il en épuise les transes dans sa musique. Son cœur a entièrement coulé dans son piano.
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A la fin du mois, Wagner revient à Zurich. Le voici dans les dispositions intimes les plus favorables à la composition : des dettes pressantes, un compliqué projet de vente de ses opéras à l’éditeur Haertel, des agacements de toute sorte, sa maladie nerveuse et cinq années et demie d’accalmie créatrice suivies « d’une sorte de migration de son âme » au pays de la musique.
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Assurément n’y a-t-il pas de date plus importante dans l’histoire d’un artiste que celle où sa première grande œuvre prend contact avec le public, où son visage, jusqu’alors anonyme, se revêt soudain du sens que lui donnera la postérité. Argile indécise pourtant, que le Temps n’a pas achevé de modeler ; mais déjà le monde cherche dans cette figure contemporaine à se reconnaître et à s’aimer. Cet hésitant rayon éclairant la tête d’un homme hier inconnu, c’est l’investiture d’une dignité que va lui conférer la foule ; le signe dont elle le marque pour qu’il assume désormais la charge d’exprimer ses rêves et de fixer ses émotions. Sorte de fardeau mystique dont elle n’aperçoit jamais la tragique contrainte. Car, ou bien elle fera de cet élu l’instrument de ses volontés, et, lui ayant ravi les attributs de sa maîtrise, elle le rejettera vite à l’oubli ; ou bien, surprise par sa force, elle luttera durement contre celui-là même qu’elle a d’abord choisi, essayera de le plier à ses désirs, et n’acceptera enfin de se soumettre à lui que s’il consent à payer sa grandeur et sa solitude du prix de son bonheur. Mais ce long marchandage, c’est toute l’histoire du génie.
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Je ne sais quel écrivain français contemporain a dit que la musique de Wagner est typiquement de celles « qu’il faut écouter la tête dans les mains ». Cette appréciation me laisse supposer que l’auteur de ce mot n’a jamais entendu un opéra wagnérien. Car le propre de cette musique est justement qu’on l’écoute avec son corps tout entier, avec la tête, certainement, mais avec le coeur aussi, et le ventre, et pour ainsi dire avec les yeux et les mains, comme on s’offre à une tempête. Elle n’est jamais touffe de myosotis ou problème harmonique. Ce qu’elle brasse en nous de violences et de désirs enivre comme un vin fort. C’est un torrent qui submerge et contre lequel la lutte est impossible. Il faut fuir ou se laisser emporter. On se moque bien que cette musique soit optimiste ou pessimiste, vulgaire ou distinguée, décadente ou littéraire, et qu’il la faille écouter la tête dans les mains ! La vérité est que les cris de Marsyas dans sa forêt remplissent d’effroi les innombrables petits joueurs de flûte. Et ils continuent encore aujourd’hui à détaler quand ils entendent la foulée du satyre. Car il est terriblement puissant, ce vieux promeneur solitaire du col de la Formazza, du Bois de Boulogne et des pâturages lucernois. Ses interprètes de 1875 le regardaient avec une crainte mêlée d’amour. Ils ne se doutaient pas que ce front tout encombré par l’énorme Tétralogie en train de naître à la réalité, portait déjà l’idée de Parsifal. Le musicien ne se reposait point de créer, d’amasser à tous les coins de bois les harmonies qui raconteraient certain vendredi saint vieux de vingt ans, lorsque, sur la terrasse de l’Asile zurichois, il confondait dans un même élan l’éternel printemps de Bouddha, du Christ et de Richard Wagner.
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Fragments du Journal de Wagner pour Mathilde Wesendonk :
3 septembre 1858,
Ce qui m’élève, ce qui reste durable en moi, c’est le bonheur d’être aimé de toi… Venise, Grand Canal, Piazzetta, place Saint-Marc, un monde éteint. Tout devient objectif comme une oeuvre d’art. Je me suis installé sur le Grand Canal, dans un immense palais où je suis seul pour le moment20. Grandes pièces spacieuses, où je me promène à ma guise. Ma demeure étant toujours d’une si haute importance pour le côté matériel et technique de mon travail, je mets tous mes soins à m’installer selon mes goûts. J’ai écrit immédiatement afin de me faire envoyer l’Érard. Il sonnera admirablement dans les hautes salles de mon palais. Le singulier silence du Canal me convient à merveille. Je ne quitte ma demeure que le soir à cinq heures, pour aller manger.
Ensuite, promenade dans le jardin public ; brève station sur la place Saint-Marc, d’un effet si théâtral, parmi une foule qui me reste entièrement étrangère et distrait seulement mon imagina-tion. Vers neuf heures je rentre en gondole, je trouve ma lampe allumée et je lis un peu avant de m’endormir… Cette solitude que je recherche uniquement – et qui est ici si agréable –, elle flatte mes espérances. Oui, j’espère guérir pour toi. Me conser-ver pour toi signifie me consacrer à mon art. Devenir ta consolation par mon art, telle est ma tâche ; elle convient à ma nature, à ma destinée, à ma volonté, à mon amour. De cette manière, je reste tien.
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De sa "Sibérie-prussienne", de ce plat pays si froid, l'imagination de Wagner commence bientôt de s'évader vers les contrées chaleureuses où l'artiste se figure qu'il est attendu, qu'il sera fêté, et que ses créations y fertiliseront des terres avides de nouveauté.
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