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Critique de berni_29


Je suis entré dans L'Arbre-monde comme on entre dans une forêt pour la première fois. Toutes les premières fois sont belles.
J'aime les forêts depuis ma tendre enfance. J'aime m'y promener. Même une forêt bretonne est parfois dense, touffue, foisonnante, donne le tournis, un peu comme ce livre monumental. On peut s'y perdre tout en s'en émerveillant et c'est d'ailleurs peut-être le premier principe de l'étonnement. Je pourrais m'arrêter là pour mon premier ressenti et bien sûr vous me connaissez, je ne m'arrêterai pas là...
Alors j'ai poussé ma barque dans la canopée des pages, l'ivresse des feuilles, le frémissement des branches, l'entrelacement des racines où parfois en tant que marcheur je me suis demandé si je ne leur faisais pas mal en y posant le pied...
« le brouillard enveloppe la canopée. Par une trouée dans la frondaison, les clochers duveteux de troncs voisins se dressent en tourbillon leurs panaches grisâtres que dans les pics vert-brun qui les transpercent. Tout autour d'eux s'étend un conte de fées fantasmagorique issu du paléozoïque. C'est un matin comme le matin où la vie apparut pour la première fois sur la terre sèche. »
Je connaissais l'effet des forêts, celui de certains arbres, je connaissais les fées des forêts, je suis un promeneur toujours étonné en forêt et parfois il m'arrive de m'attarder au pied d'un hêtre ou d'un chêne, parfois de m'y asseoir, de m'y adosser, souvent avec un livre. Je m'y sens toujours bien. J'aime aime être sous ce charme...
Regarder une forêt et se remplir de sa respiration. Prendre conscience de sa force et de sa fragilité dans le chant des oiseaux et le bourdonnement des insectes. Sentir qu'il y a peut-être quelque chose de plus grand que nous qui se tisse dans l'envers de ce décor.
Enfant, j'allais chercher des châtaignes à l'automne avec mon père qui m'entraînait dans de folles escapades. Parfois il jouait à disparaître pour me taquiner et je courais derrière chaque tronc d'arbre pour le déloger de sa cachette. C'est comme cela que j'ai appris à les toucher sur leurs peaux. le premier arbre que j'ai fait pousser dans le jardin familial fut d'ailleurs un châtaignier, une châtaigne restée dans une des poches de mon pantalon fit l'affaire. Plus tard lors de mes premiers émois amoureux, je fus entraîné sous les ramures protectrices d'un sapin, elle avait le même âge que moi, nous nous aimions et nous ne savions pas à quel endroit exprimer notre amour réciproque dans sa clandestinité et sa tranquillité. Nous avions l'impression d'être protégés du reste du monde en venant ainsi dans une forêt que nous connaissions déjà un peu. L'endroit où nous nous étions allongés était accueillant et on s'était même dit qu'il abritait peut-être la nuit un animal, une biche... Même au loin le bruit sauvage des bûcherons qui semblaient se rapprocher de nous, ne nous faisait pas peur. C'était comme si dans cet instant présent la forêt se refermait sur nous, créait un dôme magique, nous protégeait un peu le temps d'un bonheur fugitif avant de nous délivrer à la vie... Après ce moment de joie, je me souviens que nous nous sommes dit qu'il faudrait se rappeler cet endroit, quel que soit les routes que prendraient nos existences. Et puis me revient d'autres images du père que je suis devenu plus tard, quand mes enfants me harcelaient pour leur inventer des contes toujours plus insolites les unes que les autres. Il me venait alors des histoires d'arbres où l'écorce s'ouvrait brusquement pour laisser passage à des chemins souterrains où un monde secret et mystérieux était tapi, grondait... C'est sans doute dans ces multiples souvenirs que je puise mon empathie pour la forêt, les forêts... Quand je vais mal, je me réfugie dans une forêt proche. La mer bien sûr n'est jamais loin, c'est différent et selon mon humeur j'ai la chance de pouvoir faire venir à moi le paysage qui me console ou me réjouit.
Après cette digression, je reviens au livre, à son récit.
Dans la période que nous vivons, la cause écologique pourrait être quelque peu effacée dans les médias par la guerre qui sévit si près de nous. Cependant ces deux causes ne s'opposent pas mais au contraire doivent s'agréger. Il est bien question de l'humanité, « quelle planète allons-nous transmettre à nos enfants et à nos petits-enfants » ? Mais parfois la question s'inverse ainsi : « Quels enfants allons-nous laisser à la planète. » Je ne sais pas qui a dit cette phrase, j'ai pensé que c'était Pierre Rabbi, mais elle fait écho à une des nombreuses citations éloquentes du livre de Richard Powers comme celle-ci : « Il faut qu'on cesse de se comporter en touristes sur Terre. Il faut qu'on vive vraiment là où on vit, qu'on redevienne indigènes. »
Richard Powers propose ici un livre magistral dans lequel je me suis engouffré avec bonheur.
C'est une oeuvre forte, immense, exemplaire.
C'est une oeuvre riche, multiple, romanesque, poétique, scientifique, politique, philosophique...
Oui, entrer en forêt et s'en imprégner, protéger cette forêt coûte que coûte est un acte autant poétique que politique...
"Chaque étoile de la galaxie roule au-dessus d'eux, à travers les aiguilles bleu noir, dans un fleuve de lait renversé. le ciel de la nuit : la meilleure drogue jamais inventée, jusqu'à ce que les êtres s'unissent en une ivresse plus forte."
Comment ne pas être séduit et convaincu par le propos qui tient le texte ?
... par cette idée que les arbres ne sont pas des êtres esseulés mais forment une communauté et construisent des liens sociaux entre eux...
...par cette idée que les arbres peuvent communiquer, prendre soin les uns des autres...
... que les graines ont une mémoire, se souviennent du passé, des saisons de leur enfance...
... que les arbres envoient des signaux à d'autres espèces vivantes comme les guêpes, les fourmis...
... que la forêt est une communauté consciente...
... par cette idée que les arbres non seulement ne sont pas si éloignés de nous mais nous ressemblent étrangement... Cela je l'ai toujours cru, je l'ai toujours su...
J'ai pensé alors à un livre que j'avais beaucoup aimé il y a quelques années, « La vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben.
Des arbres traversent les pages, traversent le temps.
C'est une déambulation dans une verticalité que l'on sent vulnérable comme des ailes d'oiseaux fatigués et qui impose désormais l'impérieuse urgence d'en prendre soin.
Voilà pourquoi j'ai aimé ce livre.
Des puits de lumière ont déversé de magnifiques citations dans les clairières de ce roman.
« Il y a des créatures qui vivent si haut et si loin de l'homme qu'elles n'ont jamais appris la peur. »
J'ai aimé l'entrelacement des routes qui amènent neuf personnes surgies de la terre comme des rhizomes, neuf personnages neuf personnages en quête d'une histoire collective, neuf personnages comme des constellations.
Et pourtant...
Le propos a sans doute délaissé l'histoire de ces personnages... Et il m'a manqué une empathie pour que j'aille enfin à leur rencontre.
J'ai espéré le coup de coeur qui viendrait et il ne vint pas cependant.
Mais pourquoi cette frustration au bout de ma lecture ? Que m'a-t-il manqué ? de l'émotion sans doute... du romanesque aussi... Richard Powers m'a séduit et conquis dans son propos militant. Mais j'attendais des rendez-vous qui ne sont pas venus dans cette ode végétale vertigineuse, trop vertigineuse peut-être, tandis que l'histoire des personnages s'effaçait peu à peu derrière la cause des arbres. Peut-être était-ce que souhaitait l'écrivain ?
À défaut, ce fut un coup de poing dans quelques certitudes qui tenaient encore comme elles le pouvaient. Une prise de conscience sidérante...
« Elle se remémore les paroles du Bouddha : Un arbre est une créature miraculeuse qui abrite, nourrit et protège tous les êtres vivants. Il offre même de l'ombre aux bourreaux qui l'abattent. »
Lire l'Arbre-monde, c'est comme un mode d'emploi pour mieux habiter le monde désormais avec ce que nous avons à notre disposition pour tenir debout. Habiter le monde poétiquement et politiquement.
Rabindranath Tagore disait : « Les arbres sont l'effort incessant de la terre pour s'adresser au ciel qui écoute. » Comment lui donner tort ?
Aimer les arbres, c'est aimer les autres et nous aimer aussi... Aimer celles et ceux qui viendront après nous dans la joie et le désastre du monde...

Un grand merci à Sandrine (HundredDreams) pour cette lecture partagée.
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