L'histoire ne s'explique pas complètement, mais elle s'explique. Si elle s'expliquait parfaitement, elle serait entièrement prévisible. Or elle n'est ni totalement déterminée, ni totalement aléatoire. Tout ne peut pas arriver, et l'historien qui s'en donnerait la peine pourrait, jusqu'à un certain point, prévoir les événements futurs, mais pas dans leurs modalités précises. Le pronostic, qui se fonde sur un diagnostic et laisse des marges à la contingence, n'est pas impossible.
L'histoire n'est pas un passe-temps ou un gagne-pain. C'est, par certains côtés, une ascèse personnelle, la conquête d'une libération intérieure.
Le recul que crée l'histoire est aussi recul par rapport à soi-même et à ses propres problèmes. On voit ici le sérieux profond de l'histoire. Elle est savoir, certes, mais aussi travail de soi-même sur soi. C'est trop peu de dire qu'elle est une école de sagesse. En écrivant l'histoire, l'historien s'écrit lui-même.
Les historiens pourchassent quotidiennement les affirmations sans preuves dans les copies d'étudiants comme dans les articles des journalistes. Il y a là, quoi qu'on doive dire ensuite pour éviter les simplismes, une base essentielle au métier d'historien : pas d'affirmations sans preuves, c'est-à-dire pas d'histoire sans faits.
Est historique tout fait qu'on ne peut plus observer directement parce qu'il a cessé d'exister. Il n'y a pas de caractère historique inhérent aux faits, il n'y a d'historique que la façon de les connaître. L'histoire n'est pas une science, elle n'est qu'un procédé de connaissance.
On ne comprendrait pas l'énergie investie sous la Troisième République dans l'étude de Démosthène et de la résistance d'Athènes à Philippe de Macédoine si l'on ne percevait pas en filigrane la figure de Bismarck derrière celle du roi conquérant, et derrière la cité grecque la République française.
Dans l'enseignement, les faits sont tout faits. Dans la recherche, il faut les faire.
La place de l'histoire dans l'enseignement secondaire [au XIXe siècle] renvoie explicitement à une fonction politique et sociale : c'est une propédeutique de la société moderne, telle qu'elle est issue de la Révolution et de l'Empire.
C'est un constat de fait autant qu'un conseil : au bout du compte, l'historien fait le type d'histoire que la société lui demande ; sinon elle se détourne de lui. Or nos contemporains demandent une histoire mémorielle, identitaire, une histoire qui les divertisse du présent et sur laquelle ils puissent s'attendrir ou s'indigner. Si l'historien ne répond pas à cette demande, il s'enfermera dans un ghetto académique.
C'est que cet enseignement n'est pas neutre politiquement.[...] l'histoire enseigne par définition que les régimes et les institutions changent. C'est une entreprise de désacralisation politique.
L’apprentissage du métier porte donc simultanément sur la démarche critique, la connaissance des sources et la pratique du questionnement. (p. 77)