TIR À LA CIBLE
Après-midi traînant sans fin
Vos arcs à travers ma figure !
O symphonie en lie de vin !
O bétail d’ennuis sans pâture !
O quinconce ! O pas ! O torpeur !
Dites-moi de quoi pareille heure
Peut-elle être faite ?
Une énorme cloche de verre
Faisant le vide par-dessous
Semble gober la ville entière.
L’asphalte est un rêve qui bout.
Ensommeillement de défaite.
CELUI QUI JOUAIT
Pianiste-dactylographe
D’un rêve plus grand que nature !
J’entends encore en ma mémoire
Son rythme d’abomination !
L’âcre torpeur des paquebots
Viâ Suez and Colombo
Sous la nuit foraine,
L’odeur de l’homme et des pays,
Les cris des filles qu’on étrille,
Le cœur qui tourne dans sa cage,
La tendresse perdue en route :
La peine de tout ça, la peine !
LA TERRASSE D'ATUHALPAC
Vois d'ici la couleur des sons :
La mer y fait l'effet d'un bar,
Et le soleil, d'un coup de gong
Crevant dans la purée de fleurs.
Un centre d'âme où tout infuse :
Fronts torsadés, gorges de ruses,
Ah ! Ah ! songe un peu !
De grands nègres bleus biseautés
— La musique est d'ameublement —
Jouent quelque chose en jus majeur.
Il est Midi juste au cadran
Des Messageries Maritimes.
PARASOL
Veux-tu ? Nous en ferons un grand,
Tatoué des meilleurs pays
Nous y vautrerons hardiment
Ton cœur, ma tête et nos joujoux.
O sieste d'un suc sans pareil !
Arrête-toi donc, vieux soleil :
Notre ombre est si folle !
O souvenirs champagnisés
D'un règne qui tient dans nos bras !
Nous voici rajeunis d'un monde.
Je voudrais bien savoir pourquoi
Notre ombre est plus grande que nous ?
FOIRE AUX FRUITS SECS
Que d'autres se donnent le soin
De coiffer l'époque à leur guise,
Je ne vois que l'impérissable,
Moi, pour me guérir de ce soir.
Bonbons de chair versicolore,
Stock d'âpre oubli dont on se borde,
O Filles-femelles !
Adieu, mon visage d'enfant !
La foule dont je suis la pente
Brasse une odeur de guet-apens.
Tout mon passé se désassemble
En déluge de coccinelles.