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Critique de Patsales


Lire Quignard, c'est d'abord faire l'expérience de la poésie. Il me rappelle Nerval: grandes brassées de mythes, la Bible et la littérature gréco-latine qui dégorgent à toutes les phrases. L'un et l'autre convoquent leur immense culture pour la plier à leur obsession dans une langue obscure et fascinante. Ne pas chercher à comprendre: le lecteur, ravi, se laisse ballotter par des associations qui le happent et le sidèrent.
"Les lèvres, les mots et les sens. Les sexes et les visages. Les haleines et les âmes.
Les lèvres qui balbutient dans le sanglot.
Les lèvres qui frémissent quand on se retient de sangloter - ou quand on lit à la naissance de la lecture.
Les tremblements de terre et les ruines qu'ils protègent, les dissimulant sous elles-mêmes, pour attendre, comme des témoins, dix-neuf millénaires pour que s'ouvre une grotte.
Tremulare en latin n'a pas encore le sens sexuel marqué du tressaut: c'est la flamme qui vacille dans l'huile de la lampe de graisse.
Les oeufs mollet. Les tremula ova."
Or, de coq à l'âne en pseudo-digressions, des larmes de St-Pierre à maître Eckhart, de l'art pariétal à Auschwitz en passant par un orgue porcin, c'est toute une pensée qui se déploie, assurée et logique.
La musique naît du rythme même de notre corps: coeur, poumons, marche de l'homme debout. Les instruments sont faits d'os et de boyaux. La peau du tambour se tend comme le ventre où habite l'enfant qui entend avant de voir.
Car les oreilles n'ont pas de paupières. "Ouïr" et "obéir" ont la même origine. Entendre suppose la passivité. La corde du violon comme celle de l'arc touche à distance, pénètre en contraignant. Pourquoi les premiers hommes se sont-ils enfoncés sous la terre pour peindre cerfs et bisons dans l'obscurité? Parce que l'art préhistorique n'a rien à voir avec la vue et tout avec l'ouïe. L'enfant qui pénètre au fond de la caverne en ressort homme et chasseur; sa voix ne peut plus reproduire les notes aiguës du féminin. La musique a besoin des instruments pour se déployer - ou d'un corps démembré. Osiris déchiré et émasculé; Atys détruisant lui-même son sexe; Marsyas émasculé et écorché; Orphée déchiré. Pas de musique, donc, sans castration.
Euh...
Mais c'est quoi le rapport entre le bel Atys et la musique?
Bon, d'accord, on s'en fiche. Quignard n'est pas un spécialiste de sciences sociales ni un musicologue rigoureux. Il fait feu de toute son érudition pour comprendre et justifier ce qu'il ressent. C'est bien à ça que servent les mythes et les histoires, non? À parler de soi. À se comprendre. Pascal Quignard n'aime plus la musique. Vous et moi mettrions en cause les ascenseurs et les grands magasins. Lui cherche dans sa mémoire les fils qui tisseront le motif de sa détestation. Toutes les réponses se trouvent dans les livres qu'on a déjà lus.
Dans son dernier chapitre, Quignard imagine une nouvelle fin aux "Liaisons dangereuses". Je crois comprendre ce que signifie cette clausule sans lien apparent avec ce qui la précède: à la musique infuyable s'oppose la littérature. Il n'est pas au pouvoir d'un auditeur de trouver une fin alternative aux pompompom de Beethoven; mais c'est le bon plaisir de Quignard que d'imaginer Madame de Merteuil triompher de ses ennemis.
Mais quand même, Pascal... T'aurais pu choisir une héroïne moins castratrice?...
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