AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Christw


Nous sommes des voleurs. Lorsque nous lisons, lorsque nous écrivons, nous volons les prédécesseurs, les anciens. L'homme aux trois lettres, c'est le voleur latin fur, trois lettres que Pascal Quignard place aux côtés de rex, roi.

Le roi lecteur, ce peut être Lancelot, le premier chevalier français qui ait appris à lire :
"Il rompt les magies. Il met fin aux étranges coutumes. Il délivre les ensorcelés. Il déchaîne les enchaînés. Il assagit les fous. Il nomme les perdus. Il fait se soulever les morts qu'il fait sortir des pierres.
La littérature – la lettrure – ranime les morts dans les livres.
La littérature – la lettrure – désenvoûte le sort lancé sur nous à la naissance."
L'écrit induit une rupture avec les sons de je à tu. La langue écrite est assignée au silence, le lettré vole la langue à l'oralité sociale. Pour faire taire le viol, Térée coupe la langue de Philomèle qui est condamnée à tresser une tapisserie, l'instrument de sa vengeance. Ce silence, c'est aussi la stupeur de saint Augustin qui regarde saint Ambroise lire sans bruit.

Celui qui lit est à l'écart, en requoy (recoin). le lecteur est solitaire, il s'échappe du monde social et perd provisoirement son identité. La lecture est une "expérience solitaire et asociale", écrit Claire Paulian.
L'univers de Pascal Quignard est très personnel, ce qu'il écrit invite beaucoup à la réflexion, ainsi que le faisait remarquer Emmanuel Carrère lors d'une diffusion de "La Grande Librairie" (sept. 2020) : certains livres font tourner la page, d'autres font lever les yeux et interroger telle phrase, tel mot. Ainsi lorsque l'on rencontre la proposition "L'écriture à la fois projette le son sous les yeux mais en le précipitant en silence", le sens apparaît rapidement et clairement qui évoque, entre autres, la tapisserie de Philomèle. Il sera moins aisé au lecteur de ne pas s'arrêter sur "L'écriture cherche sans fin autre chose que ce qu'elle note de ce qu'elle évoque" ou "Le monde écrit est allogène au monde de la parole humaine".

L'auteur de "L'homme aux trois lettres" pense aux limites du rêve et de l'obscur.

Il glisse volontiers vers la psychanalyse et pratique les citations latines, les références mythologiques, le vocabulaire érudit. Peut-être passera-t-on par-dessus certains passages qui résistent. Mais on a conscience de disposer d'un livre qui se nourrit des lettres et alimente notre attachement à elles. Tous les petits textes et notes rassemblés ici ont été consignés à différents moments de la vie de l'auteur, comme l'indiquent certaines faits autobiographiques qui dessinent l'homme Quignard, fragile comme tout le monde peut l'être.

Dans la lecture et l'écriture, il y a quelque chose en rapport avec la contemplation, le recueillement. Ce onzième livre du "Dernier Royaume" est figuré par la quiétude des précieux moments avant l'aube :

"Le temps avant le temps qui dure – le temps qui précède le monde manifeste, lucide, extérieur, perceptible, social, bruyant, pressant, hurlant.
Le temps où se replier encore, se taire encore, poursuivre le silence dans le susurrement du crayon sur la feuille aussi blanche, gris-blanc, grise, que le jour qui se prépare."
Lien : https://christianwery.blogsp..
Commenter  J’apprécie          110



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}