Citations sur Dernier Royaume, tome 11 : L'homme aux trois lettres (52)
Ne me parle pas de la mer, plonge.
Ne me parle pas de la montagne, gravis.
Ne me parle pas de ce livre, lis, avance plus loin encore ta tête dans l'abîme où ton âme se perd.
Je pense que je n'aurai pas survécu s'il ne s'était trouvé des livres pour tromper le désespoir.
J'admirais les "Mémoires d'Outre-tombe" et j'en cherchais la source. Quand je voulus lire, en 1972, dans l'ancienne Bibliothèque Nationale, qui était alors située rue de Richelieu, les "Éloges"de Thomas qui les avaient inspirés, il fallut que je coupasse le livre.
J'ouvris mon canif, je glissai la lame entre les folios, j'étais précautionneux, j'étais ému.
Thomas avait été le maître de Chateaubriand et personne n'avait entrouvert ce volume depuis l'année 1829 où il était paru.
Il m'est arrivé plus d'une fois de trancher, doucement, du plat de la lame, résolument, les oeuvres originales d'écrivains du passé. C'est une sensation singulière de découvrir intouché, vierge de tout regard humain, des oeuvres anciennes que seul le relieur a tenues entre ses mains quand il les a enveloppées pour les adresser au service du dépôt légal de la Bibliothèque Impériale. Même leur auteur ne les a pas ouvertes quand il les publiait. Personne dans le temps n'a rompu le livre ni n'en a reniflé l'odeur particulière, encollée et fade. On saisit son couteau. Ou, avec l'ongle de son pouce, on déplie la lame froide du canif. Curieux silence qu'on "rompt" à peine - mais qu'entendent cependant les lecteurs qui vous entourent. Silence qui n'est même pas celui de la mort puisque rien n'a vécu encore de sa vie propre dans le folio qu'on rogne - dans le livre ancien indemne qu'on perce un peu du vieux bout de l'ancien stylus.
Amo litteras. J'aime les lettres. Musique silencieuse des styles des écrivains que l'on préfère : ils sont comme autant de nudités, bouleversantes, particulières, intimes, touchantes, incomparables.
Étrange fleur qui naît des feuilles, voilà ce qu'est l'ombre.
La principale fleur sombre parmi toutes les fleurs colorées qu'apporte le printemps.
J'aime les livres. J'aime leur monde.J'aime être dans la nuée que chacun d'eux forme, qui s'élève, qui s'étire.J'aime à en poursuivre la lecture. J'éprouve de l'excitation à en retrouver le poids léger et le volume dans l'intérieur de la paume. J'aime vieillir dans leur silence, dans la longue phrase qui passe sous les yeux. C'est une rive bouleversante, à l'écart du monde, qui donne sur le monde, mais qui n'y intervient en aucune façon. C'est un chant solitaire que seul celui qui lit entend.
Écrire plonge la pensée dans un infini sans autrui.
Écrire ne rencontre l'extériorité que comme expression infinie, une transcendance sans visage, un voyage sans retour, une extase.
Le lecteur est un sorcier sur son petit tapis roulant de deux pages qui passe les mers, franchit les plus grandes distances, saute les millénaires.
Le lecteur est sans époque, sans âge, sans temps. Lire n'est pas rêver mais lire est comme rêver en ceci qu'il perd le temps.
C'est comme un feu préfère dire Héraclite.
Le lecteur, en lisant, suit du regard cet embrasement - suit du regard la signifiance qui avance dans l'espace, qui transmute la matière et la rend visuelle, qui décompose les mots dans les lettres, qui décompose les teneurs dans les étymologies et dans l'ensemble des jeux cryptographiques et magiques, qui disjoint les suffixes, qui détache les préfixes, qui transfère les images au sein des métaphores.