C'est une enquête fouillée, précise, d'une documentation monstrueusement dense et implacable de preuves que nous propose
Patrick Radden Keefe pour nous relater l'histoire de la dynastie Sackler, à partir de celle de son fondateur, Arthur, celui des trois frères qui a acheté le laboratoire pharmaceutique Purdue Frederick, et qui a développé une forme de publicité agressive quant à la vente de médicaments, le Valium en tête.
Ce sera ensuite au tour des héritiers qui vont, quant à eux, avec les mêmes méthodes, créer l'Oxycontin, antidouleur à base d'Oxycodone, dérivé de l'opium encore plus puissant et addictif que l'héroïne, et démocratiser sa consommation en le vendant comme sans danger, du fait de la libération prolongée de la molécule, sans aucune preuve scientifique de la chose.
Et l'on aboutit ainsi à la crise des opiacés qui décime actuellement les États-Unis, qui s'est entretemps étendu au Canada, avant un procès retentissant qui accusera Purdue Pharma de tous les maux, mais pas la famille à l'origine de son développement et de ses travers.
L'on découvre avec effroi, dans le moindre détail, le cynisme d'une famille qui a fait profit de la douleur de ses compatriotes pour s'enrichir, le laboratoire ayant même été mis en faillite au moment du procès, l'argent ponctionné par les Sackler pour rejoindre les paradis fiscaux, entre autres. Cynisme poussé à son paroxysme en voulant s'acheter une moralité par la philanthropie, grâce à des dons d'oeuvres, ou d'argent, fait aux plus grands musées du monde, en déniant volontairement, enfin, jusqu'au bout, les méfaits et la crise de santé publique provoqués.
Une enquête édifiante, qui se lit comme un roman, ce qui est peut-être la seule chose qui m'a gênée parfois. Je ne suis pas spécialement férue du story-telling du journalisme états-unien, qui va jusqu'à nous révéler des éléments du quotidien qui n'ont, à mon sens, aucun intérêt pour saisir tous les tenants et les aboutissants de l'affaire.
Je ne peux que vous conseiller, en complément, le documentaire de
Laura Poitras, Toute la beauté et le sang versé, qui nous présente notamment le combat de la grande photographe
Nan Goldin, elle-même victime de l'Oxycontin, pour faire disparaître les traces des Sackler dans les musées.