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Critique de 4bis


4bis
28 septembre 2023
Il faut bien le confesser, je n'ai rien compris à ce roman. Pourtant, j'ai bien aimé. Enfin, je crois.

Nous sommes à Kaboul. Sous les bombes. Avec Rassoul qui, dès l'incipit, tient une hache au-dessus d'une vieille et menace de l'assassiner tout en même temps que cette situation lui rappelle immanquablement Crime et châtiment.
C'est que Rassoul parle le russe grâce à son communiste de père qui l'a envoyé quelques années faire ses études en URSS. Il en est revenu alors que l'Armée rouge avait quitté l'Afghanistan, avant l'arrivée des moudjahidin au pouvoir. Donc il parle russe et il aime Dostoïevski. Ou au moins Dostoïevski le hante. Dans sa chambre misérable dont il n'a pas payé le loyer depuis belle lurette, il a entreposé des dizaines de livres en russe. C'est jouer avec le feu en ces temps de fanatisme obscur et de délation fréquente.

A son retour, Rassoul a trouvé un travail à la bibliothèque et y a rencontré la silhouette de Souphia dont il est tombé amoureux. Je crois qu'il l'a retrouvée ensuite. Qu'elle l'aime aussi. Peut-être est-ce elle sous le tchadari bleu, cette femme étrange qui peuple les songes érotiques de Rassoul mais aussi ses visions diurnes. A moins que ce ne soient des hallucinations ?

Bref, il semblerait que, comme Raskolnikov, Rassoul a assassiné sauvagement une vieille carne. Pour de l'argent et des bijoux qu'il ne prend pas. Mais qui auront disparu. Pour sauver sa belle que la vieille prostituait. Ou pas.

Le récit est raconté par un narrateur omniscient capable d'admonester son personnage, de l'inviter à bouger, à quitter la scène du crime. A se gausser de sa stupidité à vouloir y revenir. On pourrait croire que ça aidera à démêler les fils de la narration, cette voix qui sait. Pas du tout. Elle accompagne le récit mais ne détermine pas ce qui ressort du rêve, du cauchemar ou de la réalité. Comme Rassoul va perdre la voix rendant la communication avec ses amis, cousin, famille à sens unique, se remettre au hashish, ça ne va pas rendre la narration beaucoup plus intelligible. Et puis les bombes et les morts pleuvent. A distance de Rassoul traqué par ses dialogues intérieurs, ses doutes, sa colère et son impuissance.

« C'est absurde » lit-on très vite. Complètement. Ce meurtre possible, c'est la folie même pas sournoise, débridée et radicale d'un geste qui aurait pu être philosophique, procéder d'une libre volonté mais dont l'effectivité n'est même pas assurée. C'aurait pu être aussi l'émancipation d'une macrelle, la mise à l'abri des siens sur le plan pécunier. C'aurait pu être le défi d'un assassin à la société sommée de le condamner. Dans la fumée des bombes et du chillum, dans la déshérence d'un homme qui ne pleure même pas son père, alors que les moudjahidin font régner terreur et intégrisme, que peut être ce geste ?

Bringuebalé ça et là, le lecteur n'en est pas moins enveloppé par des phrases au ton familier, des traits d'humour ou de dérision rendant légers, anodins les événements sinistres qui sont racontés. La tendresse un peu exaspérée avec laquelle est traité Rassoul le rend encore plus sympathique. Mais instaure une inconfortable distance entre ce que l'on aimerait penser de la situation (mon Dieu, quelle horreur, mais comment supporter tant de peines ?) et ce que cette voix induit (comme tout ceci est anodin, rocambolesque, combien vaines et pathétiques sont les interrogations de Rassoul toujours à côté de la plaque). Pas plus que lui, le narrateur n'arrive à trouver de l'importance ou du crédit à ce qu'il a fait. Et pourtant, il s'agit de crime. Il s'agit de vie et de mort.

Là où certains romanciers en auraient fait des caisses, théorisant sur l'analogie avec le crime de Raskolnikov, sur le sens qu'il faut donner à ce chaos, Atik Rahimi nous met les deux pieds dedans et ne nous laisse rien éprouver d'autre que le vertige d'un doute omniprésent. Déstabilisé, incapable de se raccrocher à un illustre précédent littéraire, cherchant pourtant, dans les traditions afghanes, les arts, la littérature russe, cherchant partout des repères, on ne trouve rien sinon une narration construisant magnifiquement des personnages, des situations où tout se dérobe. Et dont on peut rire peut-être. Puisque tout est tellement tragiquement absurde. J'ai rien compris mais j'ai beaucoup aimé.
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