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Il faut bien le confesser, je n'ai rien compris à ce roman. Pourtant, j'ai bien aimé. Enfin, je crois.

Nous sommes à Kaboul. Sous les bombes. Avec Rassoul qui, dès l'incipit, tient une hache au-dessus d'une vieille et menace de l'assassiner tout en même temps que cette situation lui rappelle immanquablement Crime et châtiment.
C'est que Rassoul parle le russe grâce à son communiste de père qui l'a envoyé quelques années faire ses études en URSS. Il en est revenu alors que l'Armée rouge avait quitté l'Afghanistan, avant l'arrivée des moudjahidin au pouvoir. Donc il parle russe et il aime Dostoïevski. Ou au moins Dostoïevski le hante. Dans sa chambre misérable dont il n'a pas payé le loyer depuis belle lurette, il a entreposé des dizaines de livres en russe. C'est jouer avec le feu en ces temps de fanatisme obscur et de délation fréquente.

A son retour, Rassoul a trouvé un travail à la bibliothèque et y a rencontré la silhouette de Souphia dont il est tombé amoureux. Je crois qu'il l'a retrouvée ensuite. Qu'elle l'aime aussi. Peut-être est-ce elle sous le tchadari bleu, cette femme étrange qui peuple les songes érotiques de Rassoul mais aussi ses visions diurnes. A moins que ce ne soient des hallucinations ?

Bref, il semblerait que, comme Raskolnikov, Rassoul a assassiné sauvagement une vieille carne. Pour de l'argent et des bijoux qu'il ne prend pas. Mais qui auront disparu. Pour sauver sa belle que la vieille prostituait. Ou pas.

Le récit est raconté par un narrateur omniscient capable d'admonester son personnage, de l'inviter à bouger, à quitter la scène du crime. A se gausser de sa stupidité à vouloir y revenir. On pourrait croire que ça aidera à démêler les fils de la narration, cette voix qui sait. Pas du tout. Elle accompagne le récit mais ne détermine pas ce qui ressort du rêve, du cauchemar ou de la réalité. Comme Rassoul va perdre la voix rendant la communication avec ses amis, cousin, famille à sens unique, se remettre au hashish, ça ne va pas rendre la narration beaucoup plus intelligible. Et puis les bombes et les morts pleuvent. A distance de Rassoul traqué par ses dialogues intérieurs, ses doutes, sa colère et son impuissance.

« C'est absurde » lit-on très vite. Complètement. Ce meurtre possible, c'est la folie même pas sournoise, débridée et radicale d'un geste qui aurait pu être philosophique, procéder d'une libre volonté mais dont l'effectivité n'est même pas assurée. C'aurait pu être aussi l'émancipation d'une macrelle, la mise à l'abri des siens sur le plan pécunier. C'aurait pu être le défi d'un assassin à la société sommée de le condamner. Dans la fumée des bombes et du chillum, dans la déshérence d'un homme qui ne pleure même pas son père, alors que les moudjahidin font régner terreur et intégrisme, que peut être ce geste ?

Bringuebalé ça et là, le lecteur n'en est pas moins enveloppé par des phrases au ton familier, des traits d'humour ou de dérision rendant légers, anodins les événements sinistres qui sont racontés. La tendresse un peu exaspérée avec laquelle est traité Rassoul le rend encore plus sympathique. Mais instaure une inconfortable distance entre ce que l'on aimerait penser de la situation (mon Dieu, quelle horreur, mais comment supporter tant de peines ?) et ce que cette voix induit (comme tout ceci est anodin, rocambolesque, combien vaines et pathétiques sont les interrogations de Rassoul toujours à côté de la plaque). Pas plus que lui, le narrateur n'arrive à trouver de l'importance ou du crédit à ce qu'il a fait. Et pourtant, il s'agit de crime. Il s'agit de vie et de mort.

Là où certains romanciers en auraient fait des caisses, théorisant sur l'analogie avec le crime de Raskolnikov, sur le sens qu'il faut donner à ce chaos, Atik Rahimi nous met les deux pieds dedans et ne nous laisse rien éprouver d'autre que le vertige d'un doute omniprésent. Déstabilisé, incapable de se raccrocher à un illustre précédent littéraire, cherchant pourtant, dans les traditions afghanes, les arts, la littérature russe, cherchant partout des repères, on ne trouve rien sinon une narration construisant magnifiquement des personnages, des situations où tout se dérobe. Et dont on peut rire peut-être. Puisque tout est tellement tragiquement absurde. J'ai rien compris mais j'ai beaucoup aimé.
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Maudit soit Dostoïevski ! L'Idiot, beaucoup trop long. Et puis cette saga interminable sur la culpabilité. Je n'aime pas le mythe des surhommes, je vomis ces grands sanguinaires qu'ils s'appellent Mao, Staline, Hitler, Franco, Napoléon, Attila, César, Alexandre, Ramses II et la liste est longue dont il faudrait rétablir dans les livres d'histoire leur quota de morts, de viols, d'exactions en tout genre nécessaires à une seule chose : satisfaire leur ego surdimensionné. Je les maudits et plutôt que les encenser c'est cracher sur la tombe de ces plus grands criminels de l'Histoire qui serait honorable, ou mieux l'oubli définitif. Ah comme j'aurais maudit Raskolnikov, si jamais j'avais lu Dostoïevski. Mais je ne l'ai pas lu, rien : ce n'est pas un crime, il n'y aura pas châtiment !

Donc ici, cet anti-héro, je pourrais taire son nom afin de respecter son status, devait avoir tout pour me plaire dans un livre miroir dont j'ignore tout de la matière à refléter. Qu'à cela ne tienne j'aime assez ces jeux intellectuels et puis le répéterais-je assez : un livre doit pouvoir s'apprécier dans l'absolu ! Il serait somme toute logique de tresser un parallèle entre les deux ouvrages comme semble à première vue nous y inviter Atiq Rahimi. Cependant pour les motifs déjà invoqués j'ai laissé tomber Crime et châtiment et me suis concentré sur ce récit tortueux dans un Kaboul désenchanté jusqu'à la torture ainsi que sur les trop nombreuses citations de cet autre livre que d'aucuns, ne l'ayant jamais lu dans son entièreté pour la plupart, réfèrent comme 'Le Livre'. Je ferai juste remarquer que d'autres aussi bornés en réfèrent d'autres, jusqu'à ce petit et rouge, pour le même accessit. Ne comptez pas sur moi pour une révélation quelconque, une critique, un classement sur ces livres présentés chacun par leurs fans comme 'Le Seul Valable et Digne', pas tant d'être lu, pire, d'être enseigné.

Rassoûl car ainsi se nomme-t-il passe sa vie dans les fumeries d'opium et ensuite à se troncher la gueule. Au passage il tue plus par maladresse que par volonté, car de cela il semble dépourvu, une vieille maquerelle qui prostitue sa petite amie d'enfance à qui il n'a jamais déclaré son amour. Ensuite, après beaucoup de tergiversations, de lâchetés et d'errance, ce jeune Idiot...
Il y a pourtant bien crime dans ce récit d'Atiq Rahimi, un crime bien plus infâme que d'écourter de quelques semaines la vie d'une misérable. Ce crime n'est pas celui de Rassoûl mais perpétré, ou du moins excusé et par la même perpétué, par l'auteur, un crime contre la Vie : la désespérance ! Voilà ce que je ressens comme déjà cette désespérance m'avait gâché Singué Sabour par de trop longs passages et sans cesse ressassée.

De plus faire porter aux Russes l'écroulement de l'Afghanistan, bien que je sois loin de connaître l'histoire mouvementée de cette région me semble une fuite devant un désastre créé en premier lieu par des luttes intestines et le désir de vengeance de bergers bornés. C'est une faute grave mais courante de croire que la liberté est régie par des ennemis extérieurs, alors que seuls des démons intérieurs devant lesquels on s'efface petit à petit, au fil de nos pauvres lâchetés et médiocres renoncements peuvent arriver à une destruction aussi profonde d'une civilisation. le récit est ambigu, la dénonciation pas assez franche, dès lors toutes les interprétations sont possibles, comme dans cette mascarade de procès à coup de citations hors contexte tirées 'Du Livre'. Interprétations des plus confuses qui se veulent chacune force de loi au gré des intervenants. Arbitraire !

Alors je me réfère à ce sage dont j'ai oublié le nom, non pas que je ne puisse le prononcer par le diktat d'une quelconque croyance, mais bien que je l'ai oublié au point de me demander s'il a jamais existé, le plus important étant que j'ai retenu 'Sa Parole' :
" Ah là là,
quand Allah lit,
c'est l'hallali."

Cependant terminer ainsi serait réducteur, et pis pourrait donner à croire que je glisse dans le fatalisme et la désespérance. Il me faut absolument pointer ce passage clé, même s'il n'apparaît brièvement qu'à une dizaine de page de la fin du récit, sinon vous risquez fort de ne pas y accorder toute son importance p. 261 "Dans sa cellule, tout est obscur. Une mouche s'est posée sur sa main. Il souffle ; elle s'agite, s'envole. [...] Regarde-la, regarde avec quelle légèreté elle vit son monde." C'est un bien grand pari que ferait l'auteur de croire que les lecteurs vont l'interpréter en y ajoutant... libre des oripeaux d'une quelconque religion ou des affres de toute autre doctrine totalitaire. Aussi j'envoie Rahimi rejoindre Dostoïevski. Car s'il est des livres dont l'on peut facilement se passer, il en est par contre de bien plus dangereux qui méritent d'être clairement dénoncés, ils sont pourtant faciles à détecter : ce sont ceux dont la somme des exégèses, annotations, interprétations, rééditions commentées, extraits et citations dépasse de loin l'oeuvre intégrale originale, souvent une sorte de conte onirique sur des fondements plus ou moins historiques largement remaniés, toujours détournés ces Livres, soit disant bienfaisants, ont en commun d'être inéluctablement utilisés ensuite par une petite caste comme instrument de pouvoir et moyen d'asservissement.

Voulant terminer sur une note optimiste et me détachant un peu du roman je suis heureux d'apprendre qu'après que les Talibans aient procédé à des assassinats massifs des musiciens avec la volonté de les éradiquer, au nom de quoi, au nom de Qui ? Une petite note d'espoir voit le jour à Kaboul avec les nouvelles écoles de musique qui y fleurissent. Et aussi paraît-il pour la première fois quelques écoles où les filles peuvent apprendre à lire. Espérons juste que ce ne soit pas pour mieux les enfermer dans les sourates.
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Le jeune Rassoul fracasse d'un coup de hache le crâne de nana Alia, vieille usurière qui contraint Souphia la bien-aimée à se prostituer. Son geste à peine accompli, Raskolnikov, le personnage de Crime et Châtiment, surgit à l'esprit du garçon. Dostoïevski avait en effet conduit son anti-héros au même acte ignoble, avec la bonne raison d'agir pour le bien, convaincu de transgresser à bon escient les limites morales. Il ne sera racheté que par l'aveu de son meurtre et la condamnation. Rassoul, son forfait commis, est rattrapé par le destin littéraire de Raskolnikov:
"…avant de commettre ce crime, au moment où il le préméditait, n'y avait-il jamais songé ? [...] Ou peut-être cette histoire, enfouie au tréfonds de lui, l'a-t-elle incité au meurtre." Il vit alors une douloureuse épreuve: tiraillé par la culpabilité, qu'en est-il pour lui de la vie si dans ce pays le rachat n'est pas possible ?

L'histoire se déroule en Afghanistan, après l'occupation russe, alors que la région, violemment anti-communiste, est plongée dans d'âpres luttes civiles et connaît un effondrement des valeurs. La loi est soumise à l'influence de la charia et les talibans restreignent autant le sentiment de liberté que durant l'occupation soviétique. Un meurtre est peu de choses en regard du crime de lire un auteur russe, stupidement assimilé au communisme. Tuer n'est rien, ne pas trahir est plus important, ne pas trahir Allah, son clan, sa famille, son clan, sa patrie, son ami... Quand Rassoul soucieux de se racheter décide de se livrer, il est dépossédé de son crime: quelle importance l'élimination d'une maquerelle sans scrupules aux yeux de la justice afghane ? Son père communiste et les livres russes constituent un meilleur motif de condamnation et Rassoul se voit accusé pour des motifs étrangers à son forfait. Connaîtra-t-il seulement la consolation de Raskolnikov: s'endormir en geôle, une bible sous l'oreiller ? Pas certain dans cet Afghanistan où même Allah est instrumentalisé. Et le suicide n'a pas de sens dans un pays où la vie semble ne plus avoir d'importance.

Dans un Kaboul ravagé par les explosions et la poussière où courent effrayés les tchadors bleu ciel, entre maisons de thé et fumeries de narguilé, le roman révèle un climat hostile et pesant, où le désespoir gagne aussi les combattants. Et où l'amour même se meurt.

Rahimi intègre dans le récit plusieurs extraits traduits de poèmes et de légendes afghanes qui traduisent une sensibilité particulière à l'Asie centrale. On regrette cependant que ni l'auteur ni les éditeurs (P.O.L, Gallimard) n'aient proposé une explication des nombreux mots persans[1]: quelques notes de bas de page auraient aidé le lecteur curieux. Faut-il tant sacrifier la compréhension à la couleur d'origine ? L'auteur s'explique bien sur son écriture et le rapport avec la langue persane dans cette vidéo:
http://www.youtube.com/watch?v=c¤££¤41De Dostoïevski38¤££¤
"Dans ma langue maternelle, je suis un auteur, en français je suis un écrivain.... L'écrivain cherche les mots, l'auteur est cherché par les mots."

Au-delà de l'intérêt considérable, mais finalement assez attendu, que constitue la situation humaine et sociale dans la région afghane, l'originalité du roman tient dans le pont que Rahimi jette entre l'orient et l'occident avec la convocation du roman de Dostoïevski. D'une lecture aisée, d'une plume adéquate et sans fioritures, il y manque sans doute l'escarbille littéraire qui en ferait un livre étonnant. Pour ma part, ce livre fait regretter la Pierre de Patience du Goncourt 2008[2], sans doute plus romanesque. On sait que Atiq Rahimi, écrivain afghan vivant en France, a perdu un frère là-bas: on songe évidemment à ce frère assassiné en découvrant l'histoire tragique de Rassoul.

Rahimi définit ainsi sa croyance religieuse: Je suis bouddhiste parce que j'ai conscience de ma faiblesse, je suis chrétien parce que j'avoue ma faiblesse, je suis juif parce que je me moque de ma faiblesse, je suis musulman parce que je condamne ma faiblesse, je suis athée si Dieu est tout puissant.[3]

[1] Exemple: chaykhâna (maison de thé), sâqikhâna (fumerie), fiqh (loi),...

[2] À titre d'anecdote, ce prix avait fait écrire à La Tribune de Genève (11 nov 2008) que « le Goncourt avait donné pour le tiers-monde ».

[3] Source Wikipédia


Lien : http://www.christianwery.be/..
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J'avais déjà lu le précédent livre de l'auteur ' Syngué Sabour ' qui a eu le prix Goncourt , et , je n'avais pas pu m'empêcher de penser que ce prix n'était pas mérité . Par contre , dès les premières lignes de ' Maudit soit Dostoeïsvski ' , j'ai beaucoup aimé , l'histoire et le style . Mine de rien , sans avoir l'air d'y toucher , l'auteur nous emmène au coeur de la pensée afghane , avec ses différences de civilisation ,;et en même temps, l'histoire des hommes dans cette situation de pays ravagé par des épisodes sanglants , d'une guerre à l'autre , est universelle. C'est là , le grand talent de Atiq Rahimi , par ses petites phrases qui semblent anodines , il nous fait réfléchir sur la loyauté , au sens de la trahison , de la collaboration , enfin , toutes ses choses qui existent en temps de guerre . Très profond.
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Un beau texte qui narre les aventures d'un jeune Afghan assassin envahi de l'esprit de Dostoïevski - et tout particulièrement de son plus célèbre ouvrage "Crime et Chatiment".
Après avoir commis son meurtre, le héros traînera sa misère dans les rues de Khaboul, essayant de tout faire pour que son crime soit puni. Mais dans l'Afghanistan actuel, rien n'est simple. Pas même être jugé pour meurtre !
Outre les renvois au texte original, on découvre une philosophie, une poésie toute orientale qui imprègne ce livre. C'est à la fois très drôle et très touchant. A tel point qu'on ne sait finalement plus si on souhaite voir le meurtrier châtié pour son forfait (puisqu'il semble tellement l'espérer !) ou si on préfère le voir errer de page en page, désespéré de ne pas voir une sentence tomber.
A travers cette histoire, l'auteur nous conte aussi celle de son pays. Il y a suspicion à avoir fait ses études en Russie et à lire les ouvrages en Russe... Beaucoup de choses sont dites dans ce court roman que j'ai dévoré en quelques heures.
Un récit très profond sous des dehors humoristiques. J'ai adoré !!
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J'ai déjà écrit, dans une autre note, au sujet de la capacité merveilleuse qu'a Rahimi d'opérer des synthèses – ponts, courts-circuits, jeux de miroirs – entre Orient et Occident. Dans ce roman, le plus long, complexe, abouti et proprement « romanesque » que j'ai lu à ce jour, l'auteur s'attelle à une transposition de Crime et châtiment de Dostoïevski dans l'Afghanistan de l'époque où, après la déroute soviétique, les talibans sont en passe de prendre le pouvoir et la guerre fait encore rage entre les factions et les tribus. La transposition est consciente dans l'esprit du protagoniste Rassoul, alias Raskolikov, dès l'instant où son arme s'abat sur la vieille femme ; et ce n'est pas un hasard : ce jeune homme, fils d'un communiste, a fait ses études en Union soviétique, s'est imbu de littérature russe. Son drame, c'est sans doute l'impossibilité d'être mû par les mêmes motifs, d'éprouver les mêmes remords, d'être jugé et condamné par la même morale que le Russe et surtout de servir d'objet sacrificiel à l'instar du personnage dostoïevskien. Plongé dans une société en guerre, dans le chaos, en manque de repères, se trouvant lui-même en état de « confusion éthique », submergé par les vapeurs narcotiques de la fumerie qui lui sert de refuge et quasiment de seul lieu de sociabilité, ses sentiments de culpabilité fluctuent autour de raisons diverses sans ancrage possible à des valeurs sûres : culpabilité à l'égard de son père décédé, incapacité d'assumer son rôle de protecteur de sa famille, de protéger sa fiancée, de se prendre en charge économiquement et socialement (dans la lutte armée). de plus, dans cette même société où être un assassin n'est plus un crime, en tout cas bien moindre que d'avoir eu un communiste pour père, voire que de posséder des livres en russe, ne s'est-il pas comporté en héros, en défenseur de son honneur, contrairement à ce qu'il pense ? Servirait-il en fin de compte involontairement de cette même conscience collective que, de façon erronée, par l'expiation, il a aspiré volontairement à incarner ? Ou bien son acte, entouré de multiples mystères, est-il en somme condamné à l'insignifiance parmi les tirs de roquettes, les règlements de comptes généralisés, le remplacement en cours du droit et de l'autorité ? le mutisme prolongé (et répété) du héros, doublé quelquefois d'une complète surdité au monde qui l'entoure n'est-il qu'emblème d'une incommunicabilité fondamentale qui ne peut se dénouer, dans la conclusion, que par un drame encore plus grand, lorsque Rassoul est enfin compris ?
Ce dernier questionnement, insensiblement, nous conduit à la position inverse de la proposition initiale. Car si jusque-là j'ai souligné un aspect de la synthèse Orient-Occident du roman, c-à-d tout ce qui, dans la transposition du roman de Dostoïevski ailleurs, a pu l'en différencier, l'en éloigner, le contextualiser, voici surgir l'aspect inverse et complémentaire : nous sommes revenus sur ce que le questionnement dostoïevskien a de plus universel, de plus intemporel : l'hypertrophie maladive des sentiments de culpabilité ne rend pas l'individu meilleur, elle le scinde du monde, le rend incapable de communiquer ni de faire le bien – tous les personnages secondaires sont pourtant là pour essayer de « réveiller » Rassoul – littéralement : le Messager –, de le reconduire au « droit chemin » – donc, en somme, la culpabilité rend un homme inutile et méchant. « Je suis un homme malade, je suis un homme méchant » : rappelons l'incipit du chef-d'oeuvre de Dostoïevski, Les Carnets du sous-sol...

À noter : lorsqu'on s'occupe de littérature migrante, l'on prête une attention spécifique à la question de savoir quelle part de l'oeuvre d'un auteur est (éventuellement) traduite ou auto-traduite – les trois premiers livres de Rahimi – et si, depuis qu'elle est rédigé directement dans la langue de l'immigration – dans son cas, depuis Syngué sabour – une évolution linguistique est décelable. Ce roman, qui suit celui-là de trois ans (2008-2011), il me semble légitime de supposer qu'il a été « conçu » en français : les heurts par « effets de prose venue d'ailleurs » - semblables aux « effets de traduction » lorsque la traduction est bonne -, sont en effets moindres que dans le roman précédent. J'ai failli en être presque déçu, ne serait-ce pour tout ce qui, dans cette oeuvre-ci m'a donné du plaisir.
À noter aussi que le texte de la quatrième de couverture me paraît extrêmement éloignée du roman : je peux très bien concevoir que, après lecture de celui-là l'auteur ait eu cette inspiration qui pourrait se transformer en nouvelle – voire même en un autre roman – dont Maudit soit Dostoïevski aurait été « l'inducteur ». Néanmoins je suis étonné de voir cette quatrième de couverture citée dans certaines critiques de ce livre.
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La guerre et la pauvreté pousse la petite amie de Rassoul à devenir prostituée. Rassoul veut rendre justice lui-même et d'un coup de hache, tue la maquerelle. Quand il revient sur les lieux du crime, le corps a disparu. Ce mystère le rend fou et il finit par se rendre, s'identifiant au héros de Crime et châtiment de Dostoïevski. Il espère que le procès permettra de dénoncer l'injustice dans son pays. Peine perdue, et c'est ce qu'essaie de lui faire comprendre son entourage... Et d'ailleurs, est-il réellement un criminel ?
Une écriture fantastique.
Le plus compliqué, c'est de voyager entre rêve et réalité et le héros lui-même ne s'y retrouve pas.
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Rassoul tue la vieille Nana Alia. Et au moment, où il la tue, il se rappelle sa lecture de "Crime et châtiment" de Dostoeïvski. Pourquoi juste à ce moment ? S'il s'en était rappelé avant, il n'aurait sûrement pas commis ce meurtre. Car il sait , il l'a lu, qu'après un crime le remord consume le criminel. Alors pourquoi ? Par amour pour Souphia? Pour se venger de Nana Alia qui pousse Souphia à la prostitution ? pour l'argent ? pour oublier que son père est mort? pour oublier la guerre civile qui fait rage dans Kaboul ?
Rassoul entend alors du bruit et se sauve. Une femme, vêtue d'un tchadari bleu ciel, vient de rentrer. Il entend son hurlement en s'enfuyant. Plus tard, il échappe à un tir de roquette, revient sur les lieux du crime, revoit la femme au tchadari bleu. Pendant des jours, il erre dans Kaboul. le lecteur entend les pensées, de Rassoul, le parallèle qu'il fait entre son geste et le livre "Crime et châtiment". Son cousin essaie de l'aider (intéressé ou altruiste?). Souphia, sa fiancée, essaie de l'aider mais aphone, Rassoul ne peut avouer son crime. Il semble qu'il perd un peu la raison, d'autant plus que le corps de sa victime n'est pas découvert : Quelqu'un a t il fait disparaître le corps ou bien a t il rêvé tout cela ? Comme il ne peut plus parler, il couche sur le papier son crime, sa rencontre avec Souphia ......
Ce livre, même s'il se passe en temps de guerre, n'est pas un livre sur la guerre, plutôt une réflexion personnelle sur la vie et la mort, et aussi sur la fameuse loi du talion : oeil pour oeil, dent pour dent.

Si on pense souvent à Raskolnikov, le héros de Dostoeïvski, on pense aussi souvent à Kafka, dans ce monde absurde. Par exemple, ce dialogue entre le greffier et Rassoul quand celui ci, ayant retrouvé sa voix, se rend au palais de justice. Il souhaite être jugé lors d'un procès (à nouveau Kafka)

En conclusion : un livre très riche qui m'a passionné (et pourtant j'hésitais à le prendre à la bibli, ayant des appréhensions sur ce sujet de la guerre mais ce n'est pas du tout un livre pesant et pour moi, la fin (très ouverte, c'est au lecteur d'imaginer le sort de Rassoul) est porteuse d'espoir.

Lien : http://l-echo-des-ecuries.ov..
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Un roman sublime.
Très habilement Atiq Rahimi s'inspire du roman de Dostoïevski « Crime et châtiment ».
On retrouve le même type de héros (ou antihéros) idéaliste, orgueilleux, qui décide d'affirmer son libre-arbitre par un crime , au nom d'un dessein supérieur. Lui même est obsédé et s'identifie au héros du roman de Dostoïevski. Son crime est aussi inutile et raté. de même son errance et sa culpabilité.
Mais ce un jeu de miroir avec des parallèles tout le long du livre ne nous trompent pas.
L'auteur nous rappelle que son roman se passe en Afghanistan après le retrait des troupes russes en plein guerre civile entre la fin des années 80 et le début des années 90.
Il interroge sur comment peut-on donner un sens au crime dans une société rongée par l'obscurantisme religieux la violence et la mort où la notion d'individu est inexistante. Comment appréhender les questions de morale et de culpabilité ou même de responsabilité lorsque le culte de la mort l'emporte sur celui de la vie.
La force de ce roman réside dans son réappropriation du thème de la conscience morale.
De plus le style est d'une grande richesse à la fois poétique, épuré et mystique.
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Rassoul, comme son héros de « Crime et châtiment » a décidé de tuer. Tuer pour de l'argent afin de secourir sa famille et sa fiancée Souphia et débarrasser ainsi le monde d'un être nuisible. Sa victime, c'est la vieille usurière Nana Alia, personne vile et avare. Rassoul est prêt, il soulève la hache. Et là, il tressaille en se remémorant l'histoire de son auteur fétiche. « Maudit soit Dostoïevski ! ». La hache lui échappe et fend le crâne de la vieille Nana Alia. le sang coule, le crime est commis. Et là, au lieu de prendre l'argent et les bijoux de sa victime, Rassoul s'enfuit. Commence alors son histoire. Rassoul souhaiterait que son geste soit aussi symbolique et important que celui de Raskolinov. Mais Rassoul vit à Kaboul, dans les années 1990. C'est la guerre, c'est la folie des hommes et nous ne sommes pas dans « Crime et châtiment ».

Atiq Rahimi, à travers l'histoire de Rassoul, nous dépeint Kaboul, son Kaboul. L'auteur a connu la guerre de 1979 à 1984 mais son roman se déroule dans les années 1990. A cette époque, les soviétiques ont quitté l'Afghanistan mais la guerre fait toujours rage, opposant cette fois-ci les moudjahidin fondamentalistes et modérés. Dans un décor de guerre civile parfois irréaliste l'auteur nous fait suivre les déambulations de Rassoul et partager ses réflexions. Nous découvrons peu à peu sa vie, son passé d'étudiant en URSS, son histoire familiale et amoureuse. Et surtout, son amour pour la littérature de Dostoïevski. Tout est là pour nous rappeler le chef d'oeuvre de l'auteur russe : les prénoms des personnages nous remettent en mémoire les prénoms de ceux de « Crime et châtiment » ; Rassoul, sombre, ténébreux, orgueilleux et rongé par la culpabilité, en proie à des délires paranoïaques, nous fait penser bien sûr à Raskolnikov. Mais les ressemblances s'arrêtent là.
Alors que c'est par son crime que le héros russe réalise qu'il n'est pas un surhomme, Rassoul, lui, prend conscience de son anonymat et de sa banalité par son « non crime ». En effet, sans butin et sans cadavre, sans inquiétude de la part des proches de la victime, le crime de Rassoul est invisible. Et cet acte manqué le ramène à toute sa condition d'individu quelconque. D'ailleurs, que représente son crime au sein d'une ville où les héros et les martyrs (shahid ) se succèdent chaque jour ? le jeune homme a beau chercher de valeureuses raisons à son geste - trouver de l'argent, sauver sa fiancée du déshonneur -, il se rend compte que ce crime n'a servi à rien. Seul un procès et un châtiment pourraient lui rendre sa singularité.

Pour accompagner les réflexions de Rassoul, l'auteur le place dans un contexte nébuleux et toujours trouble. Divaguant d'un lieu à un autre, nous suivons Rassoul dans sa chambre poussiéreuse, nous parcourons les rues emplies des fumées des roquettes qui explosent, nous rêvassons dans les volutes de haschisch de la sâqikhana. Les lieux sont embrumés comme l'est l'esprit de Rassoul, privé en plus de sa voix. Et au final, nous en venons à nous interroger sur la réalité de ce crime. Rassoul a-t-il tué ? Et cette femme au tchadari bleu ciel que Rassoul croise sans arrêt, est-elle réelle ou est-ce une illusion ? le style de l'auteur, parfois lyrique, parfois obscur, colle tout à fait à l'ambiance de son histoire.

Dans cette réinterprétation de l'oeuvre littéraire de Dostoïevski, Atik Rahimi nous décrit un monde en proie au chaos et à l'obscurantisme, où la religion, les traditions et la morale de certains condamnent les autres à une vie sans liberté, où même la culpabilité ne sert plus à rien. Un monde où la raison a fui et où la folie est reine, un monde où finalement Rassoul semble être le plus sensé.
Enfin, avec ce roman, Atiq Rahimi nous raconte non seulement l'histoire de Rassoul mais également celle de son frère assassiné en Afghanistan alors que l'écrivain était en exil en France. La culpabilité de Rassoul, dans un pays où les criminels tuent sans remord, c'est la sienne.
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