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Critique de Lamifranz


« Qui se souvient des Hommes ? »
Avec un titre comme ça, on peut s'attendre à un exposé philosophique sur la destinée humaine, tels qu'en auraient pu écrire Sartre ou Camus ou Malraux ou Saint-Exupéry, ou tels qu'auraient pu l'illustrer des poètes comme Eluard ou Aragon (« Est-ce ainsi que les hommes vivent »). Il y a bien sûr un peu de cette poussière d'humanité dans ce roman : Les « Hommes » sont bien sûr un des composants de l'Univers, mais les composants uniques de « l'Humanité »
Mais les « Hommes » dont il est question ici répondent à une définition beaucoup plus restreinte : c'est le nom que se donnent entre eux des indigènes de la Terre de Feu, en voie de disparition, victimes de la civilisation, et de leur propre incapacité accepter une autre existence que la leur.
Le roman – car c'est un roman, bien que basé sur de solides références historiques – retrace l'épopée des Alakalufs (tel est leur nom moderne) ou Kaweskars (qui signifie littéralement « Les Hommes »), depuis cinq siècles : poussés sans cesse par des invasions, des persécutions, des guerres, des génocides, du nord au sud du continent américain, ils finissent par échouer au bout du monde (Jules Verne y situera son roman « le Phare du bout du monde ») : la Terre de Feu, ou plus précisément sur cet archipel d'îles désolées disséminées entre le Cap Horn et le détroit de Magellan. le roman raconte l'histoire du dernier de ces « Hommes », Lafko, qui cherche désespérément un endroit pour mourir.
« Désespérément » est le mot juste : ce qui ressort de ce roman terrible, immensément émouvant, c'est la double sensation d'un froid glacial, accompagné de vent et de tempête (le climat quotidien des « Hommes »), et d'une « désespérance » atroce. Désespérance plus que désespoir : le désespoir existe en réaction à une situation précise, et reste limité dans le temps ; ici la désespérance fait partie de la vie des Alakalufs, au même titre que le malheur, ou le froid, ou la mort. Au point que leur langue (oui, ils ont quand même une langue) ne compte pas de mot pour exprimer la joie, le bonheur ou même la beauté.
Tout est né d'une scène, en 1951, quand l'auteur a croisé, à l'occasion d'un voyage dans cette région, « sous la neige, dans le vent, l'un des derniers canots des Alakalufs. Je ne l'oublierai jamais. Cette rencontre au carrefour des temps est le fondement de mon livre : quelques braises au centre du canot pour faire renaître le feu, deux femmes en haillons, un enfant triste, trois rameurs aux yeux d'outre-monde… D'avoir mesuré le fossé qui me séparait de ces malheureux m'en a justement rapproché ».
Cela reste un roman : Lafko personnifie à lui tout seul tout son peuple. Les autres personnages (parfois historiques, comme Charles Darwin) sont remaniés. de la même façon, l'auteur évoque avec douleur l'échec de la conversion (au christianisme) de ces « sauvages » : leur refus de la civilisation est lié de façon très nette au refus de la religion : ils sont dans l'incapacité de croire à un dieu bon et miséricordieux, ces notions leur étant tout à fait étrangères.
Parmi tous les romans que j'ai lus (en 70 ans, ça commence à faire un sacré nombre !) rarement un livre m'aura fait un tel effet, m'aura autant navré le coeur, autant « glacé » presque physiquement, et encore plus mentalement… Un livre terrible qui ne peut pas vous laisser indifférent. La 4ème de couverture conclut : « C'est une immense et terrible histoire. Et c'est un livre comme il n'en existe pas aujourd'hui, et dont on sort transformé ».
Transformé, peut-être. Bouleversé, à coup sûr.


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