- Et pourquoi on le pend? demanda de nouveau l'officier en le regardant d'un air scrutateur, avec une sorte de haine.
Le caporal perdit contenance et répondit d'une voix hésitante, avec un sourire de pitié amère :
- Ça, des choses comme ça, nous, on peut pas savoir mon capitaine! À la guerre, la vie des hommes, c'est comme les fleurs, ça tombe sans qu'on sache pourquoi... Dieu nous a plaint les péchés dans ce pauvre monde et puis les hommes pardonnent pas souvent...
- Les sentiments profonds et authentiques doivent résister à toutes les tentations! répliqua Apostol en insistants sur les mots.
- La loi est la même pour tous et nous avons tous prêté le même serment. Quand on se met à juger des choses à travers le prisme de l'égoïsme sentimental, alors...
- La loi, le devoir, le serment ne sont valables qu'aussi longtemps qu'il ne nous obligent pas à commettre un crime contre notre conscience! dit Bologa en lui coupant vivement la parole. Aucun devoir au monde ne peut bafouer les droits fondamentaux de l'âme humaine ets'il tente de le faire...
Bologa ne poursuivit pas sa phrase, il se contenta de faire un geste vague qui voulait tout dire et rien. [...]
Sous un ciel gris d'automne, pareil à une immense cloche de verre embué, la potence toute neuve dressait sa silhouette menaçante. Plantée à l'extrémité du village, elle tendait vers la plaine noire, piquée çà et là d'arbres cuivrés, son bras au bout duquel pendait une corde. Sous la surveillance d'un caporal trapu et noiraud, deux vieux soldats aidés d'un paysan aux joues rouges et couvertes de poils hirsutes creusaient une fosse. Ils crachaient fréquemment dans leurs mains et ahanaient après chaque coup de pioche. De la plaie béante du sol, les fossoyeurs retiraient une argile jaune, gluante…
Dans la traduction de C. Borănesco publiée à Paris en 1966.