Mangeterre, on la surnomme comme cela depuis le jour où elle s'est mise à manger de la terre aux obsèques de sa mère, celle-ci tombée sous les coups de son père alcoolique et mauvais, devant la tombe non encore refermée, histoire d'agacer son entourage. Alors, le sol s'est mis à vaciller, ou peut-être étaient-ce ses jambes ? C'est ainsi qu'elle a découvert qu'elle avait un don hors du commun : en avalant la terre que des personnes disparues ont foulées auparavant, elle entre en transe et dès lors est capable de voir des choses, de voir le visage des personnes disparues, de voir les lieux où leur sort s'est malheureusement scellé...
Mangeterre, on ne connaît pas son prénom, mais j'ai fermé les yeux et j'ai imaginé les traits de son visage.
Qui est
Mangeterre ? Au quotidien c'est une adolescente un peu rebelle, un peu vulgaire, mais qui cache dans ses tripes une douleur presque désespérée. Elle ne s'est pas remise de la mort de sa mère. Son corps a pris alors une déflagration... Elle vit seule avec son frère Walter, garagiste.
Elle réfute qu'on dise d'elle qu'elle est une voyante.
Le bouche à oreille la rend vite célèbre. Des parents désespérés n'hésitent pas à braver les kilomètres pour la rencontrer, solliciter son don, à sortir des liasses de billets et les poser sur la table de la cuisine, dans l'humble maison où vit
Mangeterre.
Elle supporte mal la souffrance de ceux qui la consultent. On appelle cela l'empathie, se mettre à la place de ceux qui ont mal. « Je commençais à me rendre compte que les gens à la recherche d'une personne ont un trait distinctif, une marque près des yeux, de la bouche, un mélange de douleur, de colère, de force et d'attente qui prend corps. Quelque chose de brisé où vit ¬celui qui ne revient pas. »
Elle a un langage de charretier. Elle avale de la terre et recrache des gros mots, c'est son style, sa manière d'être... Cela fait contraste avec la poésie qui porte le texte. J'adore !
Et puis un jour elle fait la rencontre d'un policier, Ezequiel, parti à la recherche de sa cousine disparue, Maria... C'est une rencontre, une relation atypique qui se noue alors entre les deux personnages. Ezequiel, secret, mystérieux, enchante alors l'adolescente. Et l'inverse sans doute aussi... C'est une enquête qui commence, car cette fois
Mangeterre a vu, a bien vu que Maria est vivante, bien vivante... Il faut faire vite.
Alors, cette enquête, c'est un peu un prétexte pour construire le personnage de
Mangeterre, construire son chemin, tracer sa route...
Il y a quelque chose de magique et d'ensorcelant dans ce roman que je découvre un peu par hasard.
Derrière ce conte aux allures fantastiques, se cache un récit à la fois intime et universel qui m'a totalement bouleversé.
C'est un texte violent, brutal, onirique, parfois je ne savais pas bien m'y situer, mais ce n'est pas grave, j'étais déstabilisé autant par les personnages, leurs mots, leurs douleurs aussi. Était-ce justement un conte fantastique, la parodie d'une réalité immonde, une manière de poser des mots emplis de lumière, de faire entrer cette lumière comme un espoir qui peut transcender cette douleur ?
Par l'entremise de ce texte qui est son premier roman, je découvre
Dolores Reyes, une auteure féministe dans le bon sens du terme, engagée sur des combats légitimes, la question des violences subies par les femmes.
Un roman actuel, malheureusement, qui dit la violence du monde qui nous entoure, la violence de prédateurs, mais un texte aussi qui dessine un magnifique portrait de femme.
Il faut le lire pour tout cela...