AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de nadejda


Je découvre Gregor von Rezzori avec ces «Mémoires d'un antisémite» qui viennent d'être rééditées en poche «Points Signatures» et je pense que je vais rester un long moment en sa compagnie même si j'alterne avec d'autres lectures.

Il entre une grande part de fantaisie dans ces «mémoires», pleine de portraits inoubliables, dont le fond est autobiographique et elles ne sont pas vraiment antisémites. Ses relations avec des juifs, dans son enfance et ensuite jeune homme à Bucarest, sont parfois entachées d'un reste de culpabilité, issue de son éducation aristocratique où l'antisémitisme était érigé en principe. Il a l'impression de trahir son milieu même s' il a envie de rompre avec lui. Mais ce que Gregor von Rezzori aime, avant tout, c'est la diversité de la Mitteleuropa grouillante de vie dont il aura toujours la nostalgie, où les juifs et leur culture tenait une grande place mais aussi les arméniens, les roms et bien d'autres ; en particulier dans la Bucovine où il est né, sise à l'extrémité orientale de l'empire Austro-hongrois, souvent partagée et annexée au gré des invasions et des guerres. 

«M.Garabetian était un Arménien au charme et à l'embonpoint extrêmes. Jour après jour, de l'aube au crépuscule, il restait assis, immobile, tel un bouddha, devant sa boutique. il faisait jouer entre ses doigts de couleur mate et aux ongles rosés un chapelet en noyaux d'abricots artistement sculptés. Ses lourdes paupières laissaient filtrer un regard brillant dans des yeux en amande dont on aurait dit que c'étaient des olives conservées dans l'huile ; et puis aussi, il avait sur la lippe inférieure une excroissance de la taille d'un pois et couleur d'aubergine en dessous d'une moustache à la Charlot.... M. Garabetian chassait les mouches de son nez en forme de courge, tout en fumant des cigarettes de Macédoine et en buvant d'innombrables tasses de café turc. » p 122-123
D'une lucidité impitoyable, railleur vis à vis de son milieu d'origine et vis à vis de lui-même, von Rezzori est souvent plein d'humour dans les anecdotes qu'il nous conte. C'est un curieux, un hédoniste, orgueilleux, parfois maladroit dans ses amitiés et ses amours, et un conteur captivant, plein de charme.
«Par exemple, il était bien connu que cela portait malheur de croiser un Juif quand on allait à la chasse. Or, il faut dire que mon père ne faisait guère autre chose qu'aller à la chasse et, vu le nombre de Juifs en Bucovine, il était impossible d'aller à la chasse sans tomber promptement sur plusieurs d'entre eux, et c'était presque chaque jour qu'une telle gêne lui était infligée. Cela le faisait souffrir, tel un ongle d'orteil incarné.» p 244
Pour apprécier pleinement ce livre il ne faut pas le juger à l'aune des crimes de la seconde guerre mondiale même si l'on peut penser que le nazisme ait fait son lit grâce à l'antisémitisme préexistant en Allemagne et dans les pays qui appartenaient à l'empire austro-hongrois démantelé après la première. Si des familles comme celle de von Rezzori ont permis et favorisé directement ou non l'ascension du nazisme, elles en ont aussi terriblement souffert. Tout ce qui faisait leur vie s'est écroulé et de leur monde il n'est resté que des ruines.
La premier chapitre de ces «Mémoires d'un antisémite» qui en comporte cinq est dédié à Claudio Magris qui nous avait offert un beau voyage avec son «Danube». Il est intitulé Skoutchno, mot russe, dont l'auteur nous dit : «plus que morne ennui, c'est un vide de l'âme qui vous aspire de manière indéfinie mais vive vers une nostalgie prenante, telle une vague». Et Gregor von Rezzori parvient à nous entraîner avec lui.
Commenter  J’apprécie          184



Ont apprécié cette critique (13)voir plus




{* *}