Un essayiste écrivait : « Faute d’avoir le courage d’endurer la durée, le moine connaît une sorte de pourrissement interne1. » Si je me fie à mon vécu, c’est exactement le contraire qui se produisit : lors des longues périodes passées en retraite solitaire, je n’eus pas à « endurer » le lent écoulement du temps ; je m’en délectais à chaque instant. Après avoir fermé la porte de mon ermitage pour enfin me consacrer aux pratiques qui me tenaient tant à cœur, les minutes et les heures se transmuaient en fils d’or qui tissaient la tapisserie de l’Éveil. Chaque craquement du bois, chaque murmure du vent, chaque goutte de pluie qui ruisselait sur les carreaux et chaque rayon de soleil qui traversait la pièce pour illuminer les dessins du bois sur les murs paraissaient en harmonie avec mon esprit.
Simplifier nos pensées, simplifier nos paroles et simplifier nos actes, ce n'est pas diminuer notre créativité ou rétrécir notre existence, c'est apprécier intensément la sérénité sans égale d'un esprit au repos dans son état naturel. C'est déposer le fardeau, si longtemps coltiné, des constructions artificielles et distordues qui ne cessent de foisonner dans notre esprit, de le troubler, de l'agiter en tous sens, de le fragmenter, de le comprimer, de l'enchainer – en un mot de le tourmenter.
Un beau pays est une illusion, un rêve ;
Rien ne sert de s’y attacher.
Sans conquérir les émotions intérieures,
Combattre ses ennemis est sans fin.
Tout le bonheur du monde
Vient d’un cœur altruiste.
Et tout son malheur,
De l’amour de soi.
Dans la paix d'un ermitage, les circonstances extérieures changent fort peu, c'est nous qui nous transformons. [...] Le contraste est infini quand on compare ces précieux instants de plénitude à l'inconsistance du temps ordinaire, ces heures passées en bavardages futiles, en jours émiettés dans de vaines activités laissant nos vies s'épuiser comme le sable qui s'écoule entre nos doigts. Le temps que l'homme mondain n'arrive pas à tuer finit par le tuer dans l'insignifiance.
Les richesses que l'on découvre lors de ces retraites n'ont rien de matériel, elles sont toutes intérieures, et d'autant plus rayonnantes de splendeurs. L'être que l'on devient alors n'est pas le fruit d'une myriade de situations, de péripéties et de rencontres toujours nouvelles, mais du lent mûrissement de nos capacités qui peuvent enfin se réaliser.
Hors d'atteinte du monde, l'ermitage permet de faire un avec ce monde et de ressentir profondément l'interdépendance de toutes les choses et de tous les êtres, au lieu de rester confiné dans la bulle de l'ego. Le crachotement des pensées discursives laisse place à l'espace du silence intérieur qui s'emplit peu à peu de la clarté de la présence éveillée, libre de projections et de fabrications mentales. La frontière entre l'intérieur et l'extérieur finit par s'évanouir au sein de la luminosité de l'esprit.
On écrit des livres pour partager et faire valoir les idées qu'ils contiennent.
L’amour, le bonheur sont les aspirations les plus universellement partagées. Pourtant, les inégalités sont légion et le fossé ne cesse de se creuser entre les plus pauvres et démunis et une poignée de nantis qui accumule les milliards au sommet de la pyramide. Que pèsent nos idéaux de bonté et d’altruisme face à ce constat ? Comment contribuer au bonheur de tous dans la confusion qui semble présider au cours du monde ?
Toutes les joies et les souffrances que peuvent provoquer la louange et le blame sont passagères. Ne vous laissez pas envahir par la fierté quand vous êtes l'objet de compliments. Dites vous que ce sont des paroles entendues dans un rêve ou, tout simplement, le produit de votre imagination. Considérez que ce n'est pas votre personne que l'on vante, mais les qualités que vous avez développées grâce à la pratique spirituelle. En vérité, les seuls êtres qui soient rééllement dignes d'éloges sont ceux qui ont atteint la libération.
Le bouddhisme déconstruit la notion d'un soi unitaire et autonome qui siégerait au coeur de notre être; le neuroscientifique confirme qu'aucune aire cérébrale n'assume un rôle central de « poste de commandement » dans le cerveau. Le concept d'un tel chef d'orchestre n'est qu'une illusion commode pour fonctionner au quotidien.
Peut-on appeler « solitude » un état intérieur au sein duquel la notion de « séparation » est abolie ?