Dans son troisième roman,
Vers la Violence, Prix Méduse et Grand Prix des lectrices de Elle,
Blandine Rinkel raconte une éducation « à la violence », s'interroge sur la violence et la façon dont notre héritage nous façonne.
La couverture du livre, qui présente quatre dessins de loups, allant de la simple esquisse au loup qui nous regarde dans les yeux, fait parfaitement écho au texte. L'histoire s'ouvre et se clôt avec un loup. le loup, espèce éradiquée et disparue en France depuis 1937, réapparaît en la présence d'un loup solitaire dans le Bas-Dauphiné. Ce loup de Sermérieu est traqué et abattu le 12 janvier 1954, le jour même de la naissance de Gérard, le père de Lou, la narratrice de
Vers la violence.
Lou et son père, très complices, ont tissé une « indestructible alliance », grâce à un « pacte d imaginaires ». Gérard, conteur né, « le sorcier de l'univers », entraîne sa fille dans des aventures imaginaires. Avec lui, ses plus beaux « souvenirs sont bleus », bleus comme la mer où ils guerroyaient contre les vagues envoyées par Amphitrite.
« Gérard voulait que mon esprit lui appartienne : rester maître de mon royaume. » (P.57).Gérard, colosse sympathique et solaire, à la joie cruelle mais contagieuse et au sourire carnassier, illumine l'enfance de Lou. Mais une autre facette de son père, plus sombre, assombrit leur relation et la blesse. Gérard a perdu sa première femme et ses deux enfants dans un tragique naufrage, et leurs fantômes hantent la maison. Il est pris de violents accès de colère.
« Quand il évoquait la sensation du couteau, on sentait que la violence et la vitalité ne faisait plus qu'un. Il m'a dit une fois toi aussi tu chercheras le couteau, à ta manière. Personne n'y échappe » (P.47). Gérard veut vivre quelque chose de plus grand que la vie, et il le cherche dans sa quête de territoires imaginaires, mais aussi dans la violence. Son appétit de vivre s'exprime aussi dans la violence.
« A partir de quelle année la peur s'est-elle définitivement installée dans notre maison ? » (P.189)
Les accès de violence se multiplient et la complicité qui unissait le père et la fille s'amenuise au fil du temps, tandis que la candeur de Lou disparaît à l'aube de l'adolescence.
Comment une femme peut-elle se construire lorsqu'elle a reçu une éducation violente ? Dans ses interviews,
Blandine Rinkel exprime son désir d'explorer comment une femme peut inventer sa propre violence, « une violence à soi » en référence à Une chambre à soi de Virginie Woolf, et se ré-énergiser dans cette violence.
Lou trouve refuge et réconfort dans la danse, devenant danseuse professionnelle. Elle danse « en domptant, en maîtrisant, en maltraitant son corps », « une technique de survie ». (P.223). Avec Raphaël, elle va changer, et sa façon de danser aussi. « Après avoir longtemps été carcérale, elle (la danse) devenait pour moi une chance d'approcher l'animalité….. » (P.236).
Blandine Rinkel, elle-même danseuse, écrit et décrit merveilleusement bien la danse. La relation avec le corps, les mouvements et les sensations. Danser « c'était laisser sa vie intérieure s ensauvager et dicter sa loi… » (P.237)
Un livre très bien écrit où l'on doute et où l'on s'interroge. Un livre avec une rupture entre les deux personnages qui donne à réfléchir.
Blandine Rinkel consolide sa réputation d'"artiste totale" avec son dernier roman, dont je recommande chaleureusement la lecture.
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