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Critique de Tempsdelecture


Après avoir lu - et apprécié - Triptyque en ré mineur (Sonia Ristić - Ed. Intervalles), j'avais très envie de poursuivre avec ce recueil féminin et féministe, qui réunit huit nouvelles, l'une de l'auteure du roman précédemment cité, Sonia Ristić, et sept autres auteures, qui ont le point commun avec elle, d'avoir grandi dans ces pays du centre, du sud, de l'est de l'Europe, dont certains qui n'existent même plus. C'est un projet qui a été imaginé par Lenka Horňáková-Civade et Sonia Ristić, à l'occasion de l'anniversaire de la chute du mur, et supervisé par Elisabeth Lesne, éditrice. Elles ont toutes écrit en français, à l'exception de Grażyna Plebanek - retenez bien le point sur le z qui change toute la sonorité de son prénom - qui a choisi de garder son polonais natal. Elles parlent toutes le français, puisqu'elles ont toutes vécu en France, Grażyna Plebanek en Belgique. Les voici :

Andrea Salajova - Tchecoslovaquie - Nos temps passionnants
Albena Dimitrova - Bulgarie - Toujours prêts
Grażyna Plebanek - Pologne - Un master en étonnement
Irina Teodorescu - Roumanie - Si je meurs, qu'on me plante
Katrina Kalda - Estonie - Un jour, je mourrai dans une guerre nucléaire
Lenka Horňáková-Civade - République Tchèque - le paradis, c'était avant
Marina Skalova - Russie - Nina
Sonia Ristić - Yougoslavie - Women in arms

Elles ont déjà toutes publié, que ce soit chez Gallimard, chez feues Galaade Éditions, aux Éditions Gaïa, chez Cheyne, ou bien encore chez Alma éditeur. Elles présentent toutes leur vision de fille de l'est devenue femme à l'ouest, les changements qu'elles ont vécu, les clichés auxquels elles sont confrontées. Elles ont toutes souhaité parler de leur enfance au sein de pays, qui par leur passé communiste, sont souvent victimes des clichés qui n'ont jamais su transcender les préjugés. Et pourtant, elles le démontrent, l'ouest n'a pas le monopole du progrès, et dans certains domaines, notamment celui de la place de la femme dans la société, il reste lamentablement à la traîne. Quelques traits reviennent de leur discours à chacune, notamment le fait que l'ouest fait preuve d'un mépris et d'une méconnaisse totale concernant leur pays d'origine. Et vice-versa, l'Ouest et le système capitaliste, étaient considérés par les systèmes totalitaristes qui fut le leur comme l'ennemi de service, de la futilité, de l'égoïsme et de l'insouciance à travers les échos qui ont réussis à filtrer le mur. Si le trait est grossi par la propagande, au fond la remarque n'est pas dénuée de fondement.

Ce recueil de témoignages est une vue kaléidoscopique riche, aussi partiale que de parler d'Europe centrale et de l'est sans distinction de pays, de régions entre Balkans, Bohême, Carpates, Sudètes... Chacune, tour à tour, elles apportent de l'eau à notre moulin de curiosité, d'Européen de l'Ouest qui ne cherchait pas forcément à savoir ce qu'il y a et ce qu'il se passe derrière le rideau reste encore dressé symboliquement dans quelques esprits. Sonia Ristic l'exprime très bien "je viens d'un petit pays (...) que l'imaginaire collectif occidental situe "par là-bas". Car ce qui est valable pour les pays de l'ex-Yougoslavie, l'est pour ceux issus de la Tchécoslovaquie, mais aussi la Roumanie et les autres. Elles donnent chacune un élément qui permet de reconstituer ce système, certes différent d'un pays à l'autre, mais régit par les mêmes valeurs, empreint des mêmes caractéristiques et surtout des mêmes contingences : absence de liberté de s'exprimer, repli sur soi, culte de ses propres valeurs, parti unique, méfiance, diabolisation de l'ouest. Pour reprendre l'expression de Sonia Ristic, chacune reprend l'un des mythes fondateurs de leur existence dans leur patrie d'origine. 

Leur propos n'est pas de diaboliser ou de prendre partie d'un côté ou d'un autre de l'Europe, mais plutôt de trouver un juste milieu, de retracer un lien entre ces deux Europe réunies aujourd'hui, sinon dans la même sphère culturelle, du moins dans les mêmes maux économiques, politiques et religieux. Et peut-être aussi de venir à bout de cet orgueil européen, qui à force à faire appel à de la main d'oeuvre détachés à moindre coût, pense avoir affaire à un tiers-monde, le mot n'a jamais été prononcé si ce n'est par Elisabeth Lesne dans son introduction, mais c'est bien la sensation que l'on peut avoir si l'on s'en tient à certains préjugés. C'est cette volonté de construire des ponts, que j'ai ressentis à la lecture de ces textes. Ces non-fictions qui permettent aux auteures de lever le voile d'une réalité qu'elles ont d'une manière ou d'une autre abordée dans leur roman.

De constats particuliers et personnels, d'une enfance à l'est, elles possèdent un regard plus acéré sur cette société du capitalisme et libéralisme qui est la leur, qui pêche elle aussi par ses excès et ses abus dans une direction totalement différente, celle du paradis de la consommation, comme si une sorte de moyen terme était impossible à tenir. Un capitalisme exacerbé où l'on en est venu à parler de monnaie virtuelle tellement la fiduciaire "nous" est insuffisante, qui présente cinquante marques de lessive différentes comme le déclare Sonia Ristic. Toutes parlent également de cette idée du conservatisme national de chaque pays, qui ne cesse de croître. Mais il y a la douceur aussi de certains souvenirs auprès d'une grand-mère, aux odeurs d'enfance, d'une région précise qui les colle à la peau, ce "droit à l'innocence" selon Lenka Horňáková-Civade, que souligne aussi Katrina Kalda. Elles mettent ainsi à mal le cliché du communisme associé au malheur et la morosité, et par la même occasion le capitalisme forcément associé à la démocratie. Et ce sont ces modèles de femmes, Nina, auxquelles elles rendent hommage, des femmes fortes, des arbres, des personnalités, les socles du foyer. 

Les auteures ont également rédigé un texte sur la guerre en Ukraine en lieu et place de postface, un post-scriptum, comme il est indiqué, pour parachever un texte morcelé en huit, où la Russie avait trouvé sa voix, et d'où l'Ukraine était absente. Un hommage à un pays agressé et qui se bat à peu près seul parce qu'il avait trop voulu se rapprocher de l'Europe, du moins affirmer son identité européenne, Maïdan l'a montré. Comment ne pas y trouver un écho des propos des huit auteures qui parlent à peu très toutes de cette curiosité des habitants de leur pays pour l'autre côté du rideau. 

C'est un recueil qui m'a apporté pas mal de choses, une remise en question sur nos propres clichés que l'on peut véhiculer l'air de rien, une remise en perspective de ce que je considère comme "L'Europe de l'Est", et surtout une envie de lire plus avant les auteures que je n'ai pas encore découvertes.
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