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Elisabeth Lesne (Autre)
EAN : 9782369563228
176 pages
Editions Intervalles (04/11/2022)
4.83/5   3 notes
Résumé :
« Tandis que l’Europe commémorait les 30 ans de la Chute du Mur, avec des amies originaires d’ex pays de l’Est, nous avons eu l’idée de créer quelque chose ensemble. Une série de textes courts, qui proposent un panorama de nos jeunesses « de l’autre côté du Mur ».

L’imaginaire occidental sur ce qu’a été le monde derrière le rideau de fer est très empreint de ce qu’ont donné à entendre les hommes, et ces derniers, surtout les générations de dissidents ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Après avoir lu - et apprécié - Triptyque en ré mineur (Sonia Ristić - Ed. Intervalles), j'avais très envie de poursuivre avec ce recueil féminin et féministe, qui réunit huit nouvelles, l'une de l'auteure du roman précédemment cité, Sonia Ristić, et sept autres auteures, qui ont le point commun avec elle, d'avoir grandi dans ces pays du centre, du sud, de l'est de l'Europe, dont certains qui n'existent même plus. C'est un projet qui a été imaginé par Lenka Horňáková-Civade et Sonia Ristić, à l'occasion de l'anniversaire de la chute du mur, et supervisé par Elisabeth Lesne, éditrice. Elles ont toutes écrit en français, à l'exception de Grażyna Plebanek - retenez bien le point sur le z qui change toute la sonorité de son prénom - qui a choisi de garder son polonais natal. Elles parlent toutes le français, puisqu'elles ont toutes vécu en France, Grażyna Plebanek en Belgique. Les voici :

Andrea Salajova - Tchecoslovaquie - Nos temps passionnants
Albena Dimitrova - Bulgarie - Toujours prêts
Grażyna Plebanek - Pologne - Un master en étonnement
Irina Teodorescu - Roumanie - Si je meurs, qu'on me plante
Katrina Kalda - Estonie - Un jour, je mourrai dans une guerre nucléaire
Lenka Horňáková-Civade - République Tchèque - le paradis, c'était avant
Marina Skalova - Russie - Nina
Sonia Ristić - Yougoslavie - Women in arms

Elles ont déjà toutes publié, que ce soit chez Gallimard, chez feues Galaade Éditions, aux Éditions Gaïa, chez Cheyne, ou bien encore chez Alma éditeur. Elles présentent toutes leur vision de fille de l'est devenue femme à l'ouest, les changements qu'elles ont vécu, les clichés auxquels elles sont confrontées. Elles ont toutes souhaité parler de leur enfance au sein de pays, qui par leur passé communiste, sont souvent victimes des clichés qui n'ont jamais su transcender les préjugés. Et pourtant, elles le démontrent, l'ouest n'a pas le monopole du progrès, et dans certains domaines, notamment celui de la place de la femme dans la société, il reste lamentablement à la traîne. Quelques traits reviennent de leur discours à chacune, notamment le fait que l'ouest fait preuve d'un mépris et d'une méconnaisse totale concernant leur pays d'origine. Et vice-versa, l'Ouest et le système capitaliste, étaient considérés par les systèmes totalitaristes qui fut le leur comme l'ennemi de service, de la futilité, de l'égoïsme et de l'insouciance à travers les échos qui ont réussis à filtrer le mur. Si le trait est grossi par la propagande, au fond la remarque n'est pas dénuée de fondement.

Ce recueil de témoignages est une vue kaléidoscopique riche, aussi partiale que de parler d'Europe centrale et de l'est sans distinction de pays, de régions entre Balkans, Bohême, Carpates, Sudètes... Chacune, tour à tour, elles apportent de l'eau à notre moulin de curiosité, d'Européen de l'Ouest qui ne cherchait pas forcément à savoir ce qu'il y a et ce qu'il se passe derrière le rideau reste encore dressé symboliquement dans quelques esprits. Sonia Ristic l'exprime très bien "je viens d'un petit pays (...) que l'imaginaire collectif occidental situe "par là-bas". Car ce qui est valable pour les pays de l'ex-Yougoslavie, l'est pour ceux issus de la Tchécoslovaquie, mais aussi la Roumanie et les autres. Elles donnent chacune un élément qui permet de reconstituer ce système, certes différent d'un pays à l'autre, mais régit par les mêmes valeurs, empreint des mêmes caractéristiques et surtout des mêmes contingences : absence de liberté de s'exprimer, repli sur soi, culte de ses propres valeurs, parti unique, méfiance, diabolisation de l'ouest. Pour reprendre l'expression de Sonia Ristic, chacune reprend l'un des mythes fondateurs de leur existence dans leur patrie d'origine. 

Leur propos n'est pas de diaboliser ou de prendre partie d'un côté ou d'un autre de l'Europe, mais plutôt de trouver un juste milieu, de retracer un lien entre ces deux Europe réunies aujourd'hui, sinon dans la même sphère culturelle, du moins dans les mêmes maux économiques, politiques et religieux. Et peut-être aussi de venir à bout de cet orgueil européen, qui à force à faire appel à de la main d'oeuvre détachés à moindre coût, pense avoir affaire à un tiers-monde, le mot n'a jamais été prononcé si ce n'est par Elisabeth Lesne dans son introduction, mais c'est bien la sensation que l'on peut avoir si l'on s'en tient à certains préjugés. C'est cette volonté de construire des ponts, que j'ai ressentis à la lecture de ces textes. Ces non-fictions qui permettent aux auteures de lever le voile d'une réalité qu'elles ont d'une manière ou d'une autre abordée dans leur roman.

De constats particuliers et personnels, d'une enfance à l'est, elles possèdent un regard plus acéré sur cette société du capitalisme et libéralisme qui est la leur, qui pêche elle aussi par ses excès et ses abus dans une direction totalement différente, celle du paradis de la consommation, comme si une sorte de moyen terme était impossible à tenir. Un capitalisme exacerbé où l'on en est venu à parler de monnaie virtuelle tellement la fiduciaire "nous" est insuffisante, qui présente cinquante marques de lessive différentes comme le déclare Sonia Ristic. Toutes parlent également de cette idée du conservatisme national de chaque pays, qui ne cesse de croître. Mais il y a la douceur aussi de certains souvenirs auprès d'une grand-mère, aux odeurs d'enfance, d'une région précise qui les colle à la peau, ce "droit à l'innocence" selon Lenka Horňáková-Civade, que souligne aussi Katrina Kalda. Elles mettent ainsi à mal le cliché du communisme associé au malheur et la morosité, et par la même occasion le capitalisme forcément associé à la démocratie. Et ce sont ces modèles de femmes, Nina, auxquelles elles rendent hommage, des femmes fortes, des arbres, des personnalités, les socles du foyer. 

Les auteures ont également rédigé un texte sur la guerre en Ukraine en lieu et place de postface, un post-scriptum, comme il est indiqué, pour parachever un texte morcelé en huit, où la Russie avait trouvé sa voix, et d'où l'Ukraine était absente. Un hommage à un pays agressé et qui se bat à peu près seul parce qu'il avait trop voulu se rapprocher de l'Europe, du moins affirmer son identité européenne, Maïdan l'a montré. Comment ne pas y trouver un écho des propos des huit auteures qui parlent à peu très toutes de cette curiosité des habitants de leur pays pour l'autre côté du rideau. 

C'est un recueil qui m'a apporté pas mal de choses, une remise en question sur nos propres clichés que l'on peut véhiculer l'air de rien, une remise en perspective de ce que je considère comme "L'Europe de l'Est", et surtout une envie de lire plus avant les auteures que je n'ai pas encore découvertes.
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En 2019, à l'occasion de la commémoration des 30 ans de la chute du Mur de Berlin, des filles écrivaines, nées à l'Est dudit Mur se sont réunies et ont décidé de créer quelque chose ensemble. Des textes courts en français sauf ceux de Grażyna Plebanek, traduit du polonais par Cécile Bocianowski, qui parlent de leur naissance et leur jeunesse de l'autre côté du Mur. Ce recueil a été retardé pour cause de crise de COVID, et préparé pour paraître cette année. Les autrices, suite à la guerre de la Russie contre l'Ukraine, se sont réunies et chacune, a écrit un petit texte à ce sujet. Un Post-scriptum au livre.

Pour moi qui suis né au mitan des années 60, j'ai grandi avec l'idée inculquée à l'école et dans les divers médias de l'époque, que vivre à l'est du Mur de Berlin était chose compliquée. Qu'il fallait faire des heures de queue pour pouvoir acheter à manger -quand on avait de quoi-, qu'on partageait des appartements à plusieurs familles et qu'il fallait obéir aveuglément aux autorités... Et puis, ces filles racontent leur enfance plutôt heureuse voire insouciante même s'il fallait "Mimer la bienveillance envers l'autre au quotidien et en même temps se méfier de tous. Je ne me rendais pas compte à quel point vivre ainsi était épuisant." (A. Dimitrova, p.25). Dans les divers pays dans lesquels elles ont grandi : Tchécoslovaquie (actuelle Slovaquie), Bulgarie, Pologne, Roumanie, Estonie, Tchécoslovaquie (actuelle République Tchèque), Russie et Yougoslavie (actuelle Croatie), les femmes avaient des droits parfois bien plus étendus qu'à l'Ouest notamment sur l'avortement, la contraception mais aussi dans le travail où la parité était davantage respectée. A la chute du Mur, la capitalisme s'est engouffré dans ces nouveaux territoires à prospecter et envahir :"Aucun régime totalitaire n'a encore réussi l'exploit de maintenir sa population dans un état d'obéissance et d'addiction prolongée tel que celui que l'Occident a su créer par la consommation permanente transformée en moteur vital." (A. Dimitrova, p.33)

C'est intéressant de lire ces femmes, car leurs souvenirs vont à l'encontre de ce que nous apprenions et voyions, et elles soulèvent des questions importantes sur la place des femmes, leurs droits, sur les régimes totalitaires, le capitalisme débridé et la consommation à outrance...

Et puis, les derniers textes sur la guerre en Ukraine qui réveillent en elles des souvenirs, des peurs, des angoisses qu'elles croyaient enfouies : "Depuis le début de "l'opération spéciale", chaque nuit, je me traîne sans sommeil. J'ai peur qu'en dormant, les images de la Russie de Poutine reviennent se superposer en cauchemars et se confondent avec les images de mon enfance qui tétanisent encore mon corps." (A. Dimitrova, p.123)

"Nous sommes les additions des traumatismes que nous avons occultés, ainsi que de ceux que les générations précédentes, dans le silence souvent, nous ont transmis. Et il suffit parfois d'une seule image pour que tout ce que nous avons remisé dans les greniers de la mémoire resurgisse." (S. Ristić, p.148)
Lien : http://www.lyvres.fr/
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critiques presse (1)
NonFiction
20 mars 2023
Comprendre, au prisme des points de vue de huit autrices d'Europe centrale et orientale, ce que la chute du Mur, et les années suivantes jusqu'à aujourd'hui, signifient.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
C’est drôle, j’ai passé des années à clamer que nous n’avions rien à voir avec nos voisins ; aujourd’hui je réalise à quel point mes souvenirs d’enfance résonnent avec ceux de mes copines bulgares, roumaines, tchèques…, à quel point ce qui nous a construites s’ancre dans les mêmes mythes fondateurs.
De salon en médiathèque, je me retrouve souvent assise aux côtés d’écrivaines venant d’ex-pays de l’Est. Parmi les remarques émanant de lectrices et lecteurs, une constante : nous écrivons sur l’absence de liberté dans laquelle nous avons grandi avec douceur souvent, avec humour surtout. Que répondre à cela ? Que la plupart du temps l’absence de liberté est leur lecture et rarement notre projet d’écriture ? Que le fait qu’on n’ait jamais eu besoin de trois plombes pour choisir une lessive lorsque nous faisions nos courses nous a libéré du temps pour développer notre sens de l’humour ? Que nous racontons souvent, entre autres, des enfances heureuses ? Que notre notion de liberté et les critères qui la définissent, c’est une bien vaste question ?
Après ses rencontres, nous allons boire des coups et nous rions. La Bulgare et la Roumaine se chamaillent, s’accusant mutuellement de pisser dans le Danube. Nous brassons le folklore de nos souvenirs d’enfance et le ponctuons de soupirs en constatant le désastre que nos anciens pays sont devenus. Pas chez toutes évidemment, mais chez beaucoup d’entre nous, les moqueries sur les aberrations des systèmes dans lesquels nous avons grandi se teintent d’effluves de nostalgie.
-De Sonia Ristic (p. 110-111)
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Je suis née par césarienne en 1988, à Moscou, en Union Soviétique. Ce que je sus de ma naissance se résuma longtemps à ces trois informations. L’origine du monde, les cols et les corridors des matrices féminines étaient des mystères plus opaques que l’enfer de la promiscuité dans les appartements communautaires, la couleur des chaussettes de Brejnev ou le contenu des livres auto-édités photocopiés en cachette.
Mes parents quittèrent l’U.R.S.S. en 1991, quelques mois seulement avant que son grand corps ne se transforme en puzzle de bras détachés, jambes souveraines et extrémités autonomes. A la fois toile de fond tenace et personnage principal, l’Union Soviétique hantait tous leurs récits.
Immigrés russes à Paris, l’Hexagone que mes parents ne connaissaient que par les romans de Dumas ne tint pas ses promesses. Les Français étaient arrogants, leurs règles de politesse étaient tels des cerbères veillant sur des coquillages creux. Personne ne lisait, ou seulement les livres au programme, et encore. Enfant, mes livres soviétiques étaient écrits en vers et merveilleusement illustrés. (..) Leurs couleurs étaient vives et joyeuses. Elles prônaient l’amitié, l’entraide et la solidarité entre les peuples.
Quand je fus en âge d’entrer à l’école primaire, mes grands-parents restés en Russie me firent parvenir des livres, des cahiers et des brochures. Ils étaient « destinés à l’éducation féminine ».
Ces manuels exploraient « tous les champs de l’activité féminine » : la cuisine, la couture, la broderie, le repassage, le ménage. « Tout ce que les jeunes filles doivent savoir, absolument tout », louait mon grand-père.

(p.89-90) – extrait de « Nina » de Marina Skalova
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Aujourd'hui, à l'heure ou interroger nos identités de genre est devenu fashionable - pré-ado, je rasais les murs sous les sarcasmes, j'étais la folle qui se prenait pour un garçon -, je m'interroge sur l'idéologie sous-jacente qui présida à mon éducation. Comment les ressortissants d'un pays ou l'égalité des salaires, la présence des femmes sur le marché du travail, le droit au divorce et à l'avortement furent inscrits dans la loi dès 1917 ont-ils pu avoir une vision des femmes aussi rétrograde ? Les femmes de mon pays de naissance avaient combattu au front par centaines de milliers. Bien qu'on ne les ait que rarement décorées de médailles, elles étaient des héroïnes de la Seconde Guerre mondiale - celle qu'en Russie on appelle toujours la Grande Guerre patriotique. Pourquoi les érigeait-on désormais en modèles de fragilité ?

En quête de réponses, je parcours les archives de la Bibliothèque Lénine à Moscou. Je m'intéresse à l'histoire des mouvements féministes de la fin du XIXe siècle en Russie, avant que leurs revendications n'aient été récupérées par le régime bolchevique. A l'évolution du discours sur le corps des femmes, de Lénine à Gorbatchev. A la façon dont on instrumentalisa l'égalité entre les sexes tout en préservant les structures patriarcales, colonne vertébrale de la société russe. L'émancipation n'était-elle qu'une belle façade que l'on faisait parader à l'Occident ? Ce qui est certain, c'est que les femmes étaient un pilier essentiel de la production et de la reproduction du régime. Personne ne choisissait entre carrière et vie privée. Elles étaient toutes mères et travailleuses.

Nina par Marina Skalova
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Aujourd'hui, j'éprouve une immense tristesse devant le gâchis de ces trente ans durant lesquels nous avons abandonné l'idéal de vérité, de liberté et de lutte contre les tyrannies. Les démocraties commercent librement avec les autocraties sur les étals des marchés mondiaux sans entraves ni limites. Le monde libre ne semble plus gêné par le manque de liberté. Il est pris dans sa propre fuite en avant en oubliant le prix de l'hypothèque sur la vie. Celui qu'auront à payer nos propres enfants et rares futurs petits-enfants.

Albena Dimitrova
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Videos de Sonia Ristic (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Sonia Ristic
Tous les personnages de Sonia Ristic, autrice de Des fleurs dans le vent, lauréate du prix Hors Concours 2018, sont engagés. Tout comme son éditeur, Armand de Saint-Sauveur, qui revient pour nous sur les livres qu'ils publie.
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