Il avait sûrement des rêves. Même les cons ont le droit de rêver. Il les a laissés se perdre sur le sol de sa cuisine. J’ai pleuré ce jour-là, pas pour lui, pas pour M, mais pour moi. Un jour, je finirai comme ça. J’étais terriblement triste et décidée à agir. J’ai été me coucher avec les promesses d’un monde différent.
Le rire devient jaune. Il n’a pas le droit d’être jaloux. La voie du sourire était libre. Il suffisait d’un geste, d’un regard. Je jure qu’il aurait été radieux. Pas un petit sourire mais un rayon laser. Un de ceux qui déciment tout sur son passage.
Demain tu deviendras femme et ce jour-là, tu comprendras. La vie fait des ravages. Tu seras en première ligne. Insulte-moi. Crache au réveil. Sors tout, ne garde rien. Dans ta colère, tu puiseras ta force. Il te faut une armure. Prends-moi. Je serai ton bouclier. Apprends de mes erreurs. Traite-moi de pute. Ta haine est noble. Ta haine est belle. Grandis mais ne vieillis pas. Ne durcis pas. Déteste-moi plus fort. Je ne disparais pas, je suis derrière toi.
La frustration de l’écrivain qui n’écrit pas. Il devient aigre, a l’alcool mauvais les soirs où la page blanche devient trop lourde.
Ma fille est une adolescente. Le caractère se forge. De même que ses fesses et sa poitrine. Elle refuse toute forme d’autorité. Elle me répond. Je la gifle. Elle pleure, me déteste. Je suis méchante avec elle, son père, tout le monde. Il n’y en a que pour mon jardin. Elle le déteste lui aussi. Elle piétine les tomates cerises. Je la gifle. Ma main part de plus en plus vite. De plus en plus fort. Elle va pleurer auprès de son père. M est heureux d’avoir une alliée dans cette maison.
Être calme et délicate. J’ai de l’arthrose. La délicatesse : je ne connais pas. Moi, c’est la tempête. Le cri. Fut un temps, il adorait ça. Je lutte contre le temps. Injuste ; laisse-moi revenir à cette époque. Celle où M m’embrassait fougueusement. Celle où il me faisait l’amour. Je le rendais animal. Pas cérébral. Ma fureur l’excitait. Aujourd’hui, il me craint. Hésite à m’appeler. Ne m’appelle plus. Fut un temps, je ne désirais qu’une chose : rentre à la maison, M.
Ce temps est révolu.
Pourtant, je l’aime. Je sais que je l’aime.
J’ai une bague autour du doigt. Bague qui commence à serrer. Je vieillis. Les mains de sa maîtresse doivent être fines et douces. Je suis épuisée. Je refuse de la retirer. Je ne lâcherai pas. J’ai dit que je resterais. Rester est synonyme de bataille.
Contre M. Contre moi-même.
S’il savait comme je l’aime, il aurait sûrement de la peine pour moi. De la pitié. Comment gâcher sa santé, sa vie et celle des autres pour de l’amour. Il ne comprendrait pas. L’amour devrait être beau, pur. Il se trompe. L’amour peut être moche. J’en suis la preuve. Ma réaction en est la preuve. Les mauvaises herbes que je viens de dézinguer à l’acide en sont la preuve.
Voilà ce qui m’attend. Je devrais sourire mais je pleure. Je le connais. Je connais la suite de l’histoire. Je ne suis pas meilleure. Je ne serai jamais meilleure. À quoi bon être meilleure quand on est seule ? Il est déçu de ma réaction, me trouve dure.
Une femme bien est comblée quand l’amour de sa vie est heureux. Elle le rassure quand il a des doutes. Elle lui masse les épaules quand la tension est trop forte. Une femme bien aurait murmuré un Je t’aime, frôlant le bonheur du bout des lèvres.
Je ne suis pas une femme bien.
Je ne suis pas meilleure.