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Critique de Sertorius


Le comité du Prix Nice Baie des Anges a retenu ce livre dans sa sélection des huit livres « nominés ». le 16 mai 2024, quand ce prix sera décerné, Olivier Rolin sera peut-être l'heureux lauréat. C'est en tout cas ce que je lui souhaite.
A partir d'une page des Misérables où Victor Hugo évoque dans une digression les figures de deux révolutionnaires de 1848 qui, exilés à Londres après le coup d'état du futur Napoléon III, finiront par se haïr au point de se battre en duel « jusqu'à ce que mort s'en suive », Olivier Rolin a écrit un livre qui n'est ni un ouvrage d'historien, ni un roman historique, mais une enquête très personnelle et très fouillée où la rigueur s'allie à la prudence dans la recherche de la vérité.
Des deux personnages, de Cournet, l'ancien officier de marine, partisan de Ledru-Rollin, force de la nature et de Barthelemy, l'ouvrier blanquiste qu'Hugo décrivait comme chétif, taciturne, une sorte de « gamin tragique », Olivier Rolin préfère s'attarder un peu plus sur le second, plus complexe et qui lui inspire, au fil de son écriture, des sentiments divers. Ces modifications de perception des personnages dans le déroulement de son enquête contribuent au charme du livre. Cournet aussi découvre des visages variés, mais il paraît moins réel que Barthelemy, d'autant que sa participation aux journées de 1848 ne semble nullement prouvée en dépit des affirmations de Hugo. Olivier Rolin soupçonne ce dernier d'avoir inventé son rôle dans l'insurrection pour parfaire le portrait, largement imaginaire, de deux barricades s'incarnant dans la figure flamboyante de Cournet opposée à celle du pâle Barthelemy.
Le livre se lit comme un thriller et je l'ai lu d'une traite. On suit pas à pas l'itinéraire qui décidera du destin de chacun des deux protagonistes. Dans la première partie qui se déroule à Paris, je retiens en particulier le récit de la spectaculaire évasion de Barthelemy de la prison du Cherche-Midi où il était incarcéré avant son transfert au bagne où il était condamné à perpétuité. On transpire avec lui, on souffle, on s'essouffle ; on respire de le savoir sauvé.
Dans la partie londonienne, on prend connaissance de ce qui a pu engendrer cette haine absurde des deux hommes, combattants de la même cause, celle de la liberté. Et puis vient la narration du duel lui-même où la psychologie des deux adversaires se dévoile en partie. A un Cournet sûr de lui et qui fait preuve de générosité ou d'inconscience en refusant le duel à l'épée où il serait presque sûr de gagner, s'oppose un Barthelemy muré dans sa haine mais restant malgré cela froidement calculateur dans ses décisions et qui n'hésite pas à tirer sur son adversaire à vingt pas alors que Cournet avait ouvert le premier le feu à trente pas. L'officier de marine meurt peu après d'avoir reçu la balle de Barthelemy. Ce dernier bénéficiera d'un verdict clément du tribunal anglais qui le condamne à sept mois d'emprisonnement.
Les dernières pages du livre sont à mon sens les plus belles car elles tentent de retrouver la clé du personnage de l'ouvrier blanquiste dans sa dérive mortifère. Deux ans après le duel, Barthelemy, dans des conditions qui resteront à jamais mystérieuses tue un certain George Moore avec lequel il avait rendez-vous en compagnie d'une mystérieuse jeune femme au visage couvert d'une voilette et dont on ne connaîtra jamais l'identité. Il aggrave son cas en tuant, dans sa fuite, un de ses poursuivants. Il sera pour cela condamné à la pendaison.
Dans sa prison de condamné à mort, Barthelemy reçoit une lettre en français d'une nommée Sophie qui est peut-être ou peut-être pas la femme à la voilette. C'est une lettre d'une femme qui l'assure de son amour au-delà de la mort et qu'il lit avec émotion. Il demandera de garder cette lettre dans ses mains lors de son exécution. On ne peut se défendre de l'impression, nous dit Rolin, que la révolte violente et souvent fanatique qui l'a emporté depuis sa jeunesse s'est muée en un désespoir lucide.
Les digressions dans la « digression » qu'on a parfois reprochées à l'auteur sont au contraire des compléments utiles que ce soit pour l'enquête historique elle-même ou pour la compréhension du cheminement de son écriture.
On referme le livre avec regret. Ni Cournet ni Barthelemy ne sont devenus mes amis. Mais ils restent là dans ma mémoire dans les circonvolutions de leurs destins tourmentés.

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