« … Puis les Espagnols s’étaient lassés (les coups de canon qu’ils avaient tirés avaient d’ailleurs tant ébranlé leurs vaisseaux vermoulus qu’ils étaient sur le point de couler), et chacun était redescendu contempler les dégâts, au milieu des lazzis des petites filles, qui traitaient les adultes de lâches. Whistler avait sorti chevalet et pinceaux, et peint trois toiles, un Crepuscule in Flesh Colour and Green, un Nocturne in Blue and Gold, et une troisième qui porte ce titre énigmatiquement admirable : The Morning after the Revolution… »
p.9:"Pourquoi Manet, "ce riant,ce blond Manet/De qui la grâce émanait",a -t-il peint ce gros lard?"
[ Incipit ]
Soixante-huit lions, plus un.
Allongé sur la terre bleue, le lion barre toute la largeur du tableau, sa tête contre le bord gauche, gueule béant sur les crocs, un trou derrière l’oeil ouvert, brillant (un œil de verre, se moqueront de mauvais esprits), noir d’où goutte un peu de sang, l’extrémité des pattes arrière débordant du cadre, à droite. Le tronc d’un arbre s’élève au premier plan à gauche, vertical, gris de cendre écaillé de noir, touches éparses de jaune et de vert sombre, masquant une partie de la crinière, qui retombe noire sur le pelage fauve. Le peintre a signé sur l’écorce : «Manet, 1881 » (un couple de jeunes métis, assez gros l’un et l’autre, perplexes, se demandent ce qui est écrit là : "Miguel ? Não, não é Miguel"). En arrière-plan, des arbres grêles dispensent une ombre légère, trouée de taches de soleil jaune-rose ; à gauche du tronc, le sol est bleu, à droite il tire sur le mauve lilas, en bas sur le vert mousse.