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Critique de Petitebijou


C'est le troisième roman que je lis - je devrais dire dévore - de Philip Roth, après "Que la bête meure" et "La tache".
En 120 pages, Philip Roth m'a de nouveau happée par son art incroyable de portraitiste de l'âme humaine, l'acuité de son regard sans concession : assurément, et nous sommes nombreux à le penser, cet écrivain diabolique est un artiste majeur de notre temps.
Cela a commencé par un éblouissement : les premières pages, et l'annonce de la déchéance pour cet acteur génial qui soudain perd son talent, mais hélas, pas sa lucidité, sont d'une virtuosité étincelante. Précision du style, sagacité, sobre mais dense, l'écriture est ensorcelante. Pour ma part, j'ai rarement lu un portrait plus juste d'un comédien, ces êtres sans cesse dans l'ambivalence, vivant leur jeu et jouant leur vie. Simon Axler est une sorte de Laurence Olivier, monstre sacré, ego démesuré, sûr de son talent et de sa vocation, jouissant de son succès, n'ayant vécu que pour le théâtre et la gloire, et trouvant naturels les lauriers récoltés.
Et un jour tout s'arrête. le talent n'est plus là. le désespoir suicidaire s'installe mais même dans ce rôle Simon se trouve mauvais. Ce qui faisait sa richesse, sa raison d'être, ces identités multiples parfaitement assumées, font place à un vide abyssal de l'être qui a perdu tous ses repères. Les acteurs ne cessent de se regarder vivre, agir, narcisses triomphants pour un temps, et le malheur de Simon tient dans le fait que s'il perd son génie, il conserve sa caméra subjective. Non seulement il est devenu une loque, mais il s'observe devenir une loque. Double peine.
La suite n'est qu'une longue chute. Clinique psychiatrique, isolement, quête amoureuse, errances sexuelles, froidement Philip Roth assassine son héros et nous en sommes fascinés.
La fascination tient de l'excitation et de la peur, et je ne connais pas d'autre écrivain qui sache aussi bien distiller ces deux ingrédients dans sa prose. Je n'avais pas envie de lire comment cela allait se terminer, mais je n'ai pu m'arrêter dans ma lecture, éblouie par l'art de l'auteur. Je sais que cela est la vie, mais je sais que pour vivre il faut oublier de le savoir.
Les ravages du vieillissement, la cruauté des sentiments, la part d'ombre de chaque être qui émerge un matin, le mystère du sexe, l'addiction à l'autre qui vous sauve puis vous précipite dans le gouffre, tout cela est inscrit dans chaque phrase de ce court roman. On ne peut en sortir indemne. Les moments de joie ou de plaisir - car il y en a, sont au mieux les illusions que l'on se donne pour continuer à vivre. Même sincère, Simon n'est dupe de rien. Pourtant, dans la catastrophe, ses larmes ne sont pas feintes. Elles le surprennent lui-même. Cet être vieillissant, éternel enfant comme tous les acteurs, voyant s'éloigner celle qui lui a tout donné et tout repris, la forte qu'il croyait faible, affronte une dernière fois son image dans le miroir, sans fard et sans artifice. Aurons-nous tous cette vision sans concession à l'heure de notre mort, cette lucidité implacable qui nous laissera misérables ? C'est ce que nous semble dire Philip Roth, et cette vision pessimiste ne pourra être vérifiée qu'une fois seuls dans nos derniers instants.
Le génie de Roth est de ne pas nous laisser désespérés, malgré cette noirceur. D'une part, Simon renoue avec son essence et se retrouve enfin lui-même à l'instant ultime, mais alors que ce constat de vanité de l'existence pourrait nous entraîner à notre tour au bord du gouffre, l'écriture de Philip Roth, non pas dans ce qu'elle dit mais dans ce qu'elle transpire de talent nous ramène à la vie par ce émerveillement et cette consolation que seule la création peut engendrer.
Lien : http://parures-de-petitebijo..
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